Depuis dimanche, le monde rend hommage à la mémoire de Virgil Abloh. Mort à 41 ans, le directeur artistique de la maison Louis Vuitton aura marqué de son empreinte la mode du 21e siècle. Retour sur une trajectoire météorique.
Il y avait eu des signes, des reports, des absences annoncées, tous mis sur le compte du surmenage, pour un homme à l’activité débordante. Virgil Abloh s’est éteint ce week-end au Texas, victime d’une forme rare de cancer qu’il combattait depuis deux ans.
Né en 1980 dans l’Illinois de parents immigrés ghanéens, Abloh se distingue très vite par un appétit multiforme. Touche à tout, il étudie d’abord à l’architecture, avant de monter à Chicago la RSVP Gallery, un concept store au croisement de l’art, du design et de la mode. Également DJ, il devient proche de Jay Z et Kanye West, deux rappeurs à l’aura planétaire dont il va accompagner le déploiement dans d’autres domaines créatifs à l’orée des années 2010. On lui doit notamment l’enrobage de l’album Watch the Throne, un trône qu’il va bientôt occuper à lui tout seul par l’ampleur de son geste artistique.
Figure incontournable de la culture hip-hop
Cette collaboration rappologique et l’impact qu’elle aura sur la carrière d’Abloh marquent une date dans l’histoire de la culture : le moment où le hip-hop s’impose comme une puissance totale, transfrontalière et transclasse, régnant sur les imaginaires, depuis la rue qui l’a vu naître jusqu’aux plus hautes couches de la société. Une révolution comparable à celle qui, à la fin des années 60, a vu l’esprit de Carnaby Street déferler sur les podiums. La mondialisation et le numérique en plus.
C’est en 2009 qu’ont lieu les premiers pas de Virgil Abloh dans l’univers de la mode, à l’occasion d’un stage chez Fendi, à Rome, en compagnie de Kanye West. De quoi observer de près les rouages du métier pour mieux les subvertir. Trois ans plus tard, Abloh crée son premier label, Pyrex Vision, dont les collections capsules confiées à Kanye West ou A$AP Rock affolent les flux Instagram. Récupérant des pièces dans les stocks de Ralph Lauren ou de la marque Champion, Abloh les triture, les customise, y ajoute le légendaire numéro 23 de son idole Michael Jordan. A ceux qui l’accusent de récupération, il répond Marcel Duchamp.
Adoubé par le président de Louis Vuitton
En 2013, c’est le lancement d’Off-White à Milan. Une intronisation dans l’une des capitales européennes du luxe pour laquelle Abloh ne renie rien de ce qui fait sa patte : plus sobre avec son usage du noir et blanc, mais toujours aussi ancré dans le streetwear, voire le workwear. Jamais avare de ses talents, il multiplie les collaborations, s’inspirant là aussi d’une pratique en vigueur dans le monde du rap.
A partir de là, tout va très vite. Rares sont les ascensions aussi fulgurantes dans l’univers du luxe. Surtout pour quelqu’un qui n’a aucune formation dans le domaine et refuse de se définir comme couturier. En 2018, Michael Burke, qui préside Louis Vuitton et qui l’avait croisé lors de son stage chez Fendi, l’invite à diriger ses collections masculines. Pour cette vénérable maison, surtout connue pour ses malles et accessoires, c’est à la fois une extension du spectre créatif et un choc de modernité. En quelques années, Abloh va mêler la culture populaire américaine, à base de rap, de skate, de sport et de street au raffinement à la française. Un mélange détonnant, qui participe au décloisonnement de la mode, l’ouvrant à un public jeune, urbain et connecté.
Indissociable du groupe LVMH
Depuis lors, sa trajectoire était indissociable du groupe LVMH, qui fondait en lui l’espoir d’une collaboration durable. A l’annonce de sa disparition, Bernard Arnault s’est dit « sous le choc de cette terrible nouvelle. Virgil n’était pas seulement un designer de génie, un visionnaire, il était aussi une belle âme et un homme d’ une grande sagesse. »
La période créative de Virgil Abloh sous les sunlights de la mode aura duré une dizaine d’années. Pourtant, le sentiment qui domine depuis l’annonce de sa mort, c’est qu’avec lui disparaît une personnalité majeure, qui avait encore beaucoup à dire et à donner. La presse insiste sur son rôle de sismographe, sur sa capacité à injecter dans ses créations des formes issues de la culture populaire, sur son art d’imposer un subtil twist à des pièces canoniques. On souligne aussi qu’il aura été le premier designer noir à occuper des fonctions aussi stratégiques au sein de la prestigieuse maison Vuitton, y gagnant le surnom d’Obama de la mode.
Au-delà des effets de hype, que restera-t-il de son œuvre ? Sans doute cette façon de brouiller les frontières, cette apothéose de la figure du slasher, cet éclectisme revendiqué qui définissent l’époque, « l’art de mixer les codes et de les actualiser, tout en affirmant la diversité. »