Associé à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois (Paris), Julien Berthier est un artiste plasticien qui porte une attention particulière à l’évolution de l’imaginaire des villes, à la façon dont celles-ci peuvent être investies par l’art et la fiction. Entre actions discrètes et incongrues, les stratégies de l’artiste sont multiples et non dénuées d’humour.
Cet habitué des interventions urbaines avait réalisé en 2004 en collaboration avec Simon Boudvin la sculpture Les Spécialistes. Sur un mur aveugle du 3ème arrondissement de Paris les deux artistes avaient installé (collé en trente minutes) une fausse façade (composé d’une porte et d’une boîte aux lettres) réalisée sur-mesure. Prenant place sur une surface délaissée l’installation se voyait ponctuellement complétée de lettres et de tracts dépassant de la petite boîte. Les deux artistes avaient réitéré l’expérience avec 7 rue des Alouettes en 2015. Ces sculptures in situ questionnant, par leurs présences discrètes, les qualités et les ambitions de nos sculptures publiques sont toujours en place et régulièrement entretenues. Il est encore possible de les chercher dans l’espace parisien.
L’un des ressorts de la pratique de Julien Berthier est l’hyperréalisme. Faire au plus proche du réel pour intégrer des formes dissonantes mais plausibles dans nos environnements citadins. La stratégie furtive n’est pas toujours adoptée comme en témoigne l’imposante sculpture Temps étrangers construite en hommage aux sculptures mouvantes de l’artiste A. Calder. Lors de la 5ème édition du Voyage à Nantes (du 1er juillet au 28 août 2016), l’artiste avait suspendu des morceaux de taule à une grue le temps d’un été. Des conteneurs partiellement découpés étaient disposés au sol tandis que les fragments manquants aux caissons s’élevaient dans le ciel en imitant la dynamique d’une arche pour enfant.
Autre œuvre captivante, Le contre-don (2020) avait elle aussi produit son drôle d’effet. Pour ce travail, Julien Berthier avait installé un lampadaire devant chez lui et l’avait relié à son propre compteur électrique. L’artiste bénéficie d’un logement de la ville de Paris et souhaitait en retour participer au bien-être de la collectivité. Jugeant qu’il ne donnait pas « assez » à sa ville lorsqu’il dormait, son contre-don consista à allumer le lampadaire dès qu’il se couchait afin d’offrir un peu de lumière à son quartier pendant son sommeil. Cette initiative pleine de bonnes intentions a cependant vite tourné court : une plainte d’une de ses voisines n’appréciant pas le cadeau a mis fin au projet. Le lampadaire a par la suite été démonté par l’artiste mais d’autres propositions ne sauraient tarder. La pratique de Julien Berthier s’évertue à ré-enchanter des espaces publics. Elle nous invite à regarder à nouveau nos paysages quotidiens. Elle insuffle, en étant force de proposition, une certaine responsabilité citoyenne d’agir sur un territoire qui n’est tout compte fait pas si hermétique à quelques transformations. Au fond, que nous autorisons-nous dans cet espace partagé ?
Dernièrement, ce n’est pas l’espace des rues mais le paysage maritime qui a ponctuellement vacillé avec une nouvelle intervention de l’artiste. Julien Berthier avait déjà en 2007 réalisé le bateau Love Love prenant la forme d’un bateau en train de couler, un mode de transport partiellement immergé mais utilisable « transformant, selon l’artiste, cet inquiétant naufrage en objet de plaisance, fonctionnel et sûr ». La nouvelle création navale de l’artiste a été baptisée L’invisible en référence sans aucun doute aux noms de nos terrifiants sous-marins nucléaires : Le Redoutable, le Terrible, Le Foudroyant… L’invisible est un bateau opérationnel dont la structure en résine simule la texture et la forme des rochers typiques de la calanque marseillaise. Ressemblant à un morceau de roche s’extirpant d’un amas plus vaste, le bateau motorisé mesure 4,2m de long, 2,2m de large et 2,32m de haut. Que le bateau soit à l’arrêt ou qu’il vogue à faible allure à quelques mètres du littoral, l’illusion de réalisme de cette œuvre est tout aussi efficace.
Sur une invitation de l’artiste Thomas Mailaender, l’élaboration du dernier projet de Julien Berthier s’est étendue – suite aux aléas du COVID – sur plus d’une année. Le bateau a été activé en mer à l’occasion du Printemps de l’Art Contemporain, le 4 juin 2021 au Tuba Club des Goudes, à Marseille. Dans le continuum des recherches de l’artiste, L’invisible est une nouvelle stratégie pour proposer un art presqu’inaperçu. Son travail se fond dans le décor, performe en soum soum, et donne naissance à d’insolites et vivifiantes narrations pour son public.
L’entretien à l’origine de cet article est disponible sous la forme d’un podcast sur la plateforme de notre partenaire scientifique