Quel est le point commun entre Audrey Hepburn, Jean-Michel Basquiat et le couple Jay-Z/Beyonce ? Réponse : un joaillier nommé Tiffany & Co. Prisée des croqueuses de diamants, la marque vedette du film Breakfast at Tiffany’s fait peau neuve. Symbole de ce tournant « arty », sa nouvelle campagne publicitaire met en scène Jay-Z et Beyonce devant Equals pi (1982), une œuvre de Basquiat que la société Tiffany a récemment rachetée. Beyonce la bague au doigt, Jay-Z coiffé à la Basquiat avec le tableau du maître qui trône en toile de fond. Les publicitaires veulent-ils nous dire que le futur de Tiffany s’enracine dans le plus audacieux des passés ?
En tout cas, cette campagne baptisée « About Love » boucle la boucle. Au cœur de Big Apple, Tiffany a décidé d’exposer l’Equals pi de Basquiat dans son magasin de la cinquième avenue. Et l’engouement artistique de l’enseigne ne s’arrête pas là. En coulisses, l’artiste contemporain Daniel Arsham, 41 ans, s’active. Le sculpteur a ainsi réalisé quarante-neuf versions de la Blue box, produit-phare de la marque, osant même éroder la boîte pour symboliser le passage du temps. Exit le bon vieux nœud en satin blanc propret ! Comme le clame haut et fort le nouveau slogan du joaillier, Tiffany n’est plus la marque de votre mère. Mais renferme toujours des merveilles, à l’image du bracelet Knot, chef d’œuvre d’or blanc, de diamants et de tsavorites (grenats verts) niché au cœur de la boîte bleue. Chic, glamour et moderne, qu’exiger de plus ?
On peut se demander pourquoi une entreprise quasi-bicentenaire a fait appel à un créateur d’avant-garde tel que Daniel Arsham, connu pour ses sculptures minérales, son travail sur les cendres volcaniques et sa collaboration avec le chanteur Pharrell Williams. Simple coup de com’ ? D’aucuns y voient surtout la main du nouveau vice-président de Tiffany, Alexandre Arnault, 29 ans. Si le cadet de la dynastie aux manettes du groupe LVMH affiche le C.V. du parfait dirigeant – diplômé des Télécoms et de Polytechnique -, son compte Instagram révèle une personnalité plus originale. On l’y aperçoit jouant Chopin au piano au Washington square park de New York, en compagnie du chef étoilé Alain Ducasse ou de l’artiste japonais Takashi Murakami. Et comme derrière chaque grand homme, il faut (parfois) chercher la femme, certains mettront les audaces arty de Tiffany sur le compte de son épouse styliste Géraldine Guyot. Le public du Vanity fair américain a pu s’étonner de lire sous la plume d’Alexandre Arnault une analyse d’esthète comme peu de businessmen nous y ont habitué. Au sujet du fameux tableau de Basquiat, le jeune homme souligne combien le bleu Tiffany se rapproche de la nuance qu’a employée l’artiste. Il prend même les paris : « Rien ne prouve qu’il ait réalisé cette peinture pour Tiffany. Nous savons qu’il adorait New York, le luxe et la joaillerie. J’ai le sentiment que le tableau n’a pas été fait par hasard. Sa couleur si particulière doit être une forme d’hommage. »
Et c’est peut-être grâce au rachat de Tiffany par le numéro un mondial du luxe LVMH que la marque joaillière se réinvente, comme jamais. Or, loin d’être une partie de plaisir, cette opération a été conquise de haute lutte, faisant d’une institution américaine une success story à la française. A la manœuvre, Bernard Arnault avait annoncé le rachat dès novembre 2019, avant que la pandémie ne fasse sombrer le monde (et les affaires) dans la crise. Notre ministre des Affaires étrangères s’en est même mêlé, craignant que la diplomatie économique américaine ne plombe le luxe tricolore par mesure de rétorsion.
Âprement négociée, menacée, rediscutée puis conclue en début d’année, l’union de ces deux mastodontes est l’occasion pour Alexandre Arnault de (par)faire ses armes. Après un galop d’essai chez les bagages Rimowa, le voici vice-président exécutif de Tiffany à un moment crucial de l’histoire du groupe. En jeu, le renouveau de la marque en termes d’image et de chiffres d’affaires. Sans oublier un enjeu plus discret mais non moins décisif : la succession de Bernard Arnault, 72 ans. D’après les fins limiers du marché, Alexandre tiendrait la corde pour reprendre la tête du groupe. Une longue histoire de famille qui a commencé dans la joaillerie-horlogerie de Roubaix et se poursuit désormais à Manhattan. Impossible n’est décidément pas français.