En Irak, la lutte contre le trafic d’antiquités est fortement entravée par le manque de moyen, l’insécurité, la multiplication des groupes armés et la corruption. Un défi dans un pays berceau de plusieurs civilisations, qui voit ses richesses ancestrales être la cible de trafiquants peu scrupuleux et attirés par l’appât du gain.
Le trafic d’œuvres d’art : un fléau irakien
Le site LiveAuctioneers est l’une des plateformes les plus connues du monde de la vente d’œuvres d’art et d’antiquités en ligne. Malgré les efforts du site pour tenter de garantir la traçabilité des antiquités, la direction de l’entreprise estime qu’il est fort probable qu’une partie des œuvres ait été dérobée en Irak. Peu d’endroits du monde peuvent en effet se targuer de regorger, comme l’Irak, d’innombrables richesses archéologiques. Qui font, logiquement, beaucoup d’envieux. L’insécurité chronique du pays et l’appétence des groupes armés pour le trafic d’œuvres archéologiques ont contribué à faire sortir illégalement du pays des milliers d’antiquités depuis une décennie. Par exemple, l’État Islamique aurait amassé une vingtaine de millions d’euros en 2015 grâce au pillage et à la revente d’antiquités, selon les conclusions de l’ONG Global Initiative Against Transnational Organized Crime publié en 2020. « Qu’il s’agisse de fouilles illicites sur des milliers de sites ou du pillage méthodique des musées, les vols d’objets antiques ont été systématiques et massifs, du jamais-vu » explique Corrado Catesi, en charge de la lutte contre le trafic d’œuvres d’art à Interpol, pour le magazine Paris Match. Quoi qu’il en soit, rien de plus simple, aujourd’hui, de trouver sur internet, même sur des sites parfaitement légaux, des objets probablement issus de la contrebande d’antiquités. « Nous investissons beaucoup d’argent et d’efforts pour éliminer les risques », a assuré à l’AFP Chris Wren, cadre dirigeant d’un autre grand site de ventes d’antiquités. Même si le risque zéro n’est jamais atteignable.
Aujourd’hui, c’est la ville d’Arama, au sud du pays, qui demeure la plaque tournante du trafic d’antiquités. Les œuvres traversent ensuite la frontière pour aller vers l’Iran, puis vont en mer vers les pays du Golfe. Autre chemin possible, le désert ouest-irakien, jusqu’aux zones frontalières jordaniennes, syriennes, turques. Malgré la défaite et la fin de l’emprise territoriale de l’État islamique, d’autres groupes armés, parfois peu ou prou affiliés à l’Iran, poursuivent les mêmes pratiques et assoient leur domination sur des pans entiers de territoires échappant à l’autorité de Bagdad.
Difficile pour l’Irak, qui a déjà des difficultés à répondre aux besoins les plus fondamentaux de sa population, de consacrer un budget conséquent à la lutte contre le trafic d’antiquités, alors même que 40 % des Irakiens vivent sous le seuil de pauvreté.
Une corruption endémique comme facteur aggravant
La corruption endémique, dans un pays classé à la 160e place des États les plus corrompus de monde selon l’ONG Transparency International, aggrave encore la situation. Et ce, malgré les efforts indéniables du nouveau gouvernement pour tenter de la contrer. Plusieurs personnalités phares du paysage politique, juridique et médiatique irakien ont d’ailleurs été arrêtées en grande pompe ces derniers mois et, parfois, condamnées à de très lourdes amendes dans le cadre d’un vaste plan anticorruption.
Parmi elles, le juge Jafar al Khazraji, condamné à une amende de 8 millions de dollars pour avoir, avec son épouse, été rendu coupable de corruption. Figure majeure de la justice irakienne, le juge Jafar al Khazraji avait notamment rendu des décisions controversées dans l’affaire Korek, dont les plaignants Agility et Orange, ont été expropriés de leur participation dans l’entreprise de télécommunication Korek par l’État irakien. Ils tentent aujourd’hui de réclamer justice devant le CIRDI, une cour d’arbitrage internationale. D’autres soupçons de corruption entourent l’affaire Korek, visant notamment des membres de l’autorité irakienne de régulation des télécoms (CMC), comme l’expliquait notamment le Financial Times dans un article daté de novembre 2018. Autres grands noms arrêtés dans le cadre du grand plan anticorruption : Jamal Al-Karbouli, un chef politique sunnite, là aussi accusé d’avoir détourné plusieurs dizaines de millions d’euros, ou encore les militaires Qassem Musleh, ancien chef des forces de mobilisation populaire et deux généraux en charge du très stratégique port d’Oum Qasr, point d’entrée dans le pays.
La corruption joue un rôle majeur dans le trafic d’œuvres d’art car les agents, souvent très mal payés, sont très perméables aux arrangements financiers pour fermer les yeux sur des pratiques douteuses. « L’État irakien est faible. Les pièces archéologiques ne sont pas une priorité pour lui » déplore un responsable gouvernemental interrogé par l’AFP. Quant aux pays voisins, souvent conscients de ces trafics, ils ne sont que très modérément actifs pour lutter contre ce phénomène.