Passion simple (1992) d’Annie Ernaux est un bref roman très français. Dans ce récit éminemment psychologique, il ne se passe rien ou presque. Tout ce qui arrive à la narratrice relève de l’intime. S’il y a des bouleversements, ils sont intérieurs. La situation est banale : « À partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. » Cet homme est russe, il occupe un poste mal défini à l’Ambassade de son pays en France. Cet homme est marié. Durant un an, la narratrice et lui se retrouvent fugitivement pour faire l’amour. Ce récit est celui d’une obsession, d’une idée fixe, d’une passion simple, car il n’y a rien d’autre en dehors de cette passion condamnée d’avance.
Adapter un tel roman est un défi, car l’essentiel de ses qualités sont strictement littéraires. L’histoire en elle-même est si ténue qu’elle pourrait faire l’objet d’un court-métrage. Danielle Arbid a pris le parti d’en faire un film d’une heure et trente-neuf minutes. Pour cela, elle a ajouté quelques scènes au roman : un voyage à Florence, un autre à Moscou. Elle a pourvu la narratrice (incarnée par Lætitia Dosch) d’un jeune fils et d’un ex-mari peu présent. Peu de chose en fait, et c’est ce parti pris radical qu’il faut saluer : présenter la passion en soi, sans romantisme ni rien autour. Adapter Passion simple c’est pour la réalisatrice présenter simplement la passion. Le film est donc une succession de scènes d’attente et de scènes de sexe.
Un tel film, qui s’apparente à un pari, ne peut tenir que s’il est servi par de grands acteurs. Danielle Arbid a offert un rôle d’exception à Laetitia Dosch qui, en contrepartie, investit le film d’une présence particulièrement intense, parfois diserte mais le plus souvent silencieuse, comme un bloc d’obstination magnifique et fragile. Face à elle, la tâche du danseur Sergueï Polounine, qui a amplement défrayé la chronique artistico-médiatique, n’était pas facile. Il est en effet, dans Passion simple, un fantasme plus qu’un être complexe. De lui ni son amante ni le spectateur ne sait rien, si ce n’est la splendeur de son corps et le caractère impérieux de ses désirs ; la pratique du ballet, qui est un long apprentissage de la maîtrise de soi, aide Polounine à conserver une intéressante froideur lors des brèves rencontres sexuelles. Une froideur qui contraste avec l’abandon tremblant de Lætitia Dosch. Les corps disent ici la vérité des rapports entre les deux amants… Une mention spéciale s’impose pour le jeune Lou-Teymour Thion, qui joue le fils de l’héroïne. Il est remarquable en adolescent boudeur qui assiste, effaré, à l’égarement passionnel de sa mère.
C’est en effet de cela qu’il s’agit : Hélène s’absente d’elle-même, de son moi quotidien d’enseignante, de mère qui va au supermarché et qui conduit son fils au club de foot, pour ne plus vivre, pendant des mois, qu’au non-lieu d’un désir devenu obsession. Descente aux enfers, pathologie ? Le scénario le suggère en partie, en conduisant l’amante désocialisée dans un cabinet de psy. Mais en partie seulement, car Danielle Arbid montre avec grâce l’étrange libération que représente aussi l’apparent assujettissement au désir de l’autre. Le film est à son meilleur quand la caméra, prenant son temps, suit l’héroïne dans ses improbables voyages : l’escapade italienne, pensée pour renouer la complicité avec le fils mais qui échoue à exorciser le besoin violent de l’amant absent, et un déraisonnable départ pour Moscou, à la seule fin de voir la rue où, peut-être, il a habité. Au milieu des corps anonymes des passants, le visage fouetté par les flocons de neige, invisible et invue, Hélène « se fait la belle ». Sensation (non sentiment) d’une absolue simplicité, comme dit le titre, et que Danielle Arbid donne à partager en un savant mélange de charnélité et de raffinement.