Dans un article publié le mardi 25 mai 2021, Le Figaro signale que l’hôtel particulier qui abrite le Conservatoire Serge Rachmaninoff depuis 1923 pourrait être vendu par la Mairie de Paris. Une telle vente précipiterait la disparition de ce haut lieu de la mémoire de l’émigration russe à Paris.
Suite à la révolution bolchévique, de 1917 à 1930 environ, plus d’un million de Russes émigrent vers différents pays. Ils sont ainsi près de 100 000 « Russes blancs », comme on les appelle, à s’installer en France. Si la majorité d’entre eux sont contraints de travailler à l’usine, d’autres sont écrivains (Ivan Bounine, Henri Troyat, Irène Némirovsky, etc), philosophes (Léon Chestov, Nicolas Berdiaev, etc.), peintres (Serge Poliakoff, Nicolas de Staël, Marc Chagall, Natalia Sergueïevna Gontcharova, etc.), danseurs (Léonide Massine, Serge Lifar, etc.) ou musiciens. Parmi les musiciens exilés, d’anciens professeurs des conservatoires impériaux de Russie créent en 1923, dans le XVIe arrondissement de Paris, le Conservatoire Serge Rachmaninoff. Le pianiste et compositeur Serge Rachmaninoff en est le premier président d’honneur, tandis que le chanteur Fédor Chaliapine, le compositeur et chef d’orchestre Alexandre Glazounov ou encore le compositeur et professeur d’écriture Alexandre Gretchaninov y enseignent.
Aujourd’hui, si le Conservatoire Serge Rachmaninoff conserve un réel prestige, notamment à l’étranger, il ne dispose pas des moyens de rivaliser avec son voisin, le Conservatoire Francis Poulenc, qui accueille chaque année 1000 élèves et compte près de 120 enseignants. Faut-il néanmoins se résoudre à voir disparaître un lieu à la si riche histoire ? À raison, beaucoup pensent que non. Arnaud Frilley, le nouveau directeur du Conservatoire, est de ceux-là. Ce dernier s’est mobilisé pour réunir un comité de soutien et lancer une pétition sur le site change.org. Il a également proposé, toujours selon Le Figaro, « qu’en cas de vente, l’association dispose de la possibilité d’un achat en priorité ». Mais c’est peut-être là que le bât blesse… L’association qui gère le Conservatoire et que préside Arnaud Frilley est déjà lourdement endettée. Comment pourrait-elle bien financer le rachat de cet hôtel particulier de 600m2, magnifiquement situé 26 avenue de New York ? Natalia Turine, éditrice et propriétaire de la librairie du Globe, par ailleurs membre de l’association présidée par Arnaud Frilley s’inquiète : « Monsieur Frilley a complètement renouvelé le bureau de l’association en y plaçant ses proches, notamment son ex-femme Sophie Frilley qui est trésorière. Il en va de même au Conservatoire, où le poste de responsable de la communication et des relations publiques est occupé par sa compagne, Yulia Mosman. Cela ne me paraît pas permettre une bonne gouvernance. Par ailleurs, compte tenu de sa proximité avec les pouvoirs russe, ouzbek et kazakh, je crains que le Conservatoire soit racheté grâce au soutien financier de pays dont les valeurs ne correspondent pas à celles d’un lieu dédié à la culture. »
Sur la page Facebook de sa société de production B-Tween, Arnaud Frilley apparaît en effet, dans une publication du 14 août 2020, en compagnie de Vladimir Poutine. Il a en outre été le producteur d’une série consacrée à la route de la soie co-écrite avec la fille de l’autocrate Islam Karimov quand celui-ci était Président de l’Ouzbékistan… (Le Figaro, 3 janvier 2013). Sauver le Conservatoire est une entreprise louable, mais il faut éviter un remède qui serait pire que le mal.