Que s’est-il produit exactement dans les marchés de l’art en 2020 à travers le monde ? Quel a été l’impact de la crise sanitaire pour les marchands et les maisons d’enchères ? Comment les collectionneurs ont-ils réagi ? Où en sommes-nous aujourd’hui et quelles sont les perspectives ? La crise sanitaire Covid 19 a ébranlé les marchés de l’art et pose de nombreuses questions. Tentatives de réponse.
Les marchés de l’art touchés de plein fouet par la crise sanitaire
Le 7 mars 2020, la foire TEFAF (The European Fine Art Fair) de Maastricht ferme précipitamment ses portes, suite à la contamination de plusieurs participants au virus Covid 19. Cet événement marque symboliquement le point d’origine du basculement du monde de l’art vers la suspension générale de ses activités physiques au printemps 2020. Pendant cette période, qui dure entre deux et trois mois, selon les lieux, les foires commerciales sont dans un premier temps reportées, puis annulées, et plus de 90% des musées, galeries et maisons d’enchères ferment leurs portes. Le gel temporaire des échanges physiques entre opérateurs de marché et collectionneurs découlant des confinements nationaux va générer des pertes de revenus estimées à 36% pour les galeries sur le premier semestre 2020 à l’échelle mondiale (selon Clare Mc Andrew, The Impact of Covid on the Gallery Sector, Art Basel and UBS Report, 2020), tandis que, sur la même période, les ventes aux enchères physiques agrégées de Christie’s, Sotheby’s et Phillips se contractent entre 40% et 50% (selon Art Tactic Auction Report, 2020). Ces manques à gagner considérables entraînent toute une série de réactions en chaîne dans l’écosystème des marchés de l’art: plans de départs et diminutions de salaires chez de nombreux opérateurs, réorganisations – telle la fusion des départements des Impressionnistes et des Modernes avec celui de l’Art d’Après-Guerre et Contemporain chez Christie’s-, prise de contrôle au mois de juillet de Art Basel, la ‘Reine’ des foires d’art contemporain, par James Murdoch, affaiblissement de bon nombre de galeries, dont la santé financière est sérieusement menacée.
Innovations, digitalisation et coopérations inédites
Mais en même temps, cet épisode de disette commerciale incite marchands et maisons d’enchères à redoubler d’inventivité, notamment grâce au levier digital, décisif pour stimuler leurs ventes. Ainsi, le phénomène des ‘Viewing Rooms’, salons d’exposition virtuels qui reproduisent les conditions de visite d’une galerie ou d’une foire d’art, auxquelles l’amateur peut désormais accéder depuis son ordinateur, prend une ampleur sans précédent. En parallèle, le nombre de ventes aux enchères en ligne entièrement automatisées (‘online only’) explose, avec des volumes de transaction multipliés par 5 au premier semestre pour Phillips, Christie’s et Sotheby’s, pour atteindre globalement plus de 400 millions de dollars (estimations Art Tactic) au niveau de ces trois institutions. Les deux grands leaders des maisons d’enchères, Sotheby’s et Christie’s, inaugurent fin juin et début juillet un nouveau format : la vente hybride (physique et virtuelle) et globale, dans laquelle participent successivement, en relais, les salles de vente de Hong Kong, Londres, et New York, en passant par Paris dans le cas de Christie’s. Par ailleurs, certaines maisons proposent leurs infrastructures informatiques à des galeristes du premier marché et à des marchands d’art, à l’image de Phillips et de la foire de design Nomad, de Christie’s et de la Biennale de Paris, puis de la Foire 1.54 de Somerset House à Londres, ou de Sotheby’s à New York (Gallery Network). Au total, les ventes en ligne, qui représentaient 1,5 milliards de dollars en 2013 (2% du marché global de l’art), 4,8 milliards de dollars en 2019 (source : Hiscox Online Trade Report, 2020), soit 8% des volumes, sont bien placées pour dépasser largement, pour la première fois de l’histoire, la barre symbolique des 10% dès 2020.
Rebond des ventes dès le mois de juin, incertitudes à l’automne
Grâce au déploiement digital, combiné à l’intensification des ventes privées (c’est à dire réalisées en dehors de ventes publiques), les revenus des maisons d’enchères rebondissent fortement dès le mois de juin, témoignant de la résilience de la demande des acheteurs, collectionneurs et marchands. Ainsi, Christie’s et Sotheby’s, au début de l’été, totalisent respectivement 422 et 363 millions de dollars, avec plus de 90% de lots vendus. A la rentrée, début septembre, des records sont à nouveau atteints, à l’exemple de ce vase impérial chinois de l’époque Qianlong (1736-95), adjugé le 25 septembre 4,4 millions d’euros par AuctionArt Rémy Le Fur à l’Hôtel Drouot, pour une estimation initiale de 0,8 à 1,2 millions d’euros. Pour les actifs de qualité, les acquéreurs sont donc bien présents sur le marché secondaire. Dans le premier marché, la Foire de Art Paris connaît également un vif succès d’audience (avec un nombre de visiteurs en baisse seulement de 10%, en dépit de l’absence de la clientèle internationale) et les professionnels se disent satisfaits de leurs ventes.
Quelles perspectives ?
Malgré ces signaux positifs, les volumes de vente du troisième et quatrième trimestre ne permettront certainement pas de rattraper le retard accumulé au premier semestre, et ce, d’autant moins que l’accélération de la circulation du virus Covid 19 a conduit à l’annulation des grandes foires d’automne (FIAC, Frieze London, Paris Photo, Art Basel Miami, Brafa Bruxelles) et que plusieurs organisateurs ont déjà annoncé des reports pour 2021 (Armory Show de New York n’aura pas lieu en mars mais au mois de septembre, tandis que Tefaf Maastricht glisse de mars vers mai ou juin). Dans ce contexte, l’horizon d’une reprise générale du marché se décale dans le temps et il ne serait pas surprenant que les volumes de transaction s’inscrivent globalement 30% -voire davantage- en retrait en 2020 par rapport à 2019. Cela étant, la vaste majorité des analystes de marché constatent la robustesse de l’appétit des collectionneurs pour les beaux objets, d’ailleurs vérifiée lors de la grande crise financière de 2007-2008, les volumes globaux de ventes remontant très fortement 2010, après une contraction de près de 40% en 2009. Dans ce contexte, la plupart des observateurs tablent sur un retour vers les volumes de ventes de long terme après que la situation sanitaire se soit normalisée. En attendant, les prix paraissent avoir globalement résisté jusqu’à présent, l’indicateur Sotheby’s Mei Moses étant stable pour le premier semestre 2020 (attention : cet indicateur est basé sur les prix de vente constatés pour des lots adjugés aux enchères au moins deux fois, ce qui réduit considérablement l’échantillon de référence et ne rend donc pas compte de la totalité du marché). Néanmoins, en fonction des catégories d’objets et des périodes, les réalités peuvent être plus contrastées et les propriétaires d’objets de collection auront tout intérêt à mettre à profit les prochains mois pour mettre à jour leurs inventaires, afin d’éviter de payer des primes d’assurances ou des droits de mutations (dans le contexte de donations, par exemple) basés sur des valeurs de référence obsolètes. Il convient, pour compléter ce tableau général des marchés de l’art, de noter qu’en dépit d’un contexte particulièrement dégradé, les artistes ont continué de produire. Ainsi, entre juin et octobre, galeries et centres d’art ont regorgé d’œuvres réalisées dans les premiers mois de 2020, dont il aura d’ailleurs été possible de profiter dans des conditions de calme et de sérénité inédites pour le spectateur. Malheureusement, avec le durcissement des mesures sanitaires dans de nombreux pays européens, à compter de début novembre, se termine ce court ‘moment de grâce’ qu’aura connu le monde de l’art, dont tous les acteurs retiennent maintenant leur souffle tout en continuant de s’adapter, en espérant un retour à la normale aussi rapide que possible.
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