La Revue Noire a été une aventure collective. À son origine quatre amis : Jean Loup Pivin, Pascal Martin Saint Léon, Bruno Tilliette et Simon Njami. Durant une décennie (1991-2000), ils ont voulu montrer et montrer encore le travail d’artistes africains, dans tous les domaines, de la littérature à la photographie, du cinéma au design, de la danse à la sculpture. Comme d’autres avant elle, cette revue pionnière irriguée par le « désir d’écriture », organisée par le principe du « collage », a fait date. Dix ans après sa fin, ses quatre fondateurs reviennent à travers un beau livre sur cette histoire. Il s’agit de l’éclairer, d’expliciter après coup ce qui a présidé à leur engagement. Si la Revue Noire était bel et bien engagée, c’est aujourd’hui seulement que cet engagement prend la forme d’un manifeste.
Simon Njami rappelle ainsi que si « l’histoire du monde n’existe pas, l’histoire des mondes est elle bien réelle », manière de revendiquer d’entrée une certaine subjectivité, d’assumer une coupure. Surtout, à ses yeux, l’histoire des mondes est avant tout celle des mondes intérieurs. Différents les uns des autres, uniques, ils ne devraient donner naissance qu’à des œuvres singulières. Il alerte sur le danger d’une production standardisée, d’une dérive qui conduit certains artistes africains à « délivrer à qui souhaite l’entendre le discours convenu », devenant ainsi des « faussaires exemplaires » de l’art contemporain occidental. Simon Njami défend ici avec raison le local face au global, car que deviendrait un art qui ne serait plus irrigué par une culture, une sensibilité propre ?
C’est peut-être dans le champ de la photographie que la Revue Noire a fait avec le plus d’éclat la démonstration d’une spécificité africaine. Au début des années 1990, la photographie africaine, du moins en ce qu’elle se démarquait de l’image attendue, était méconnue. On ne s’intéressait guère qu’à Seydou Keïta. La Revue noire a permis de diffuser le travail de Malick Sidibé, de Philippe Koudjina, de Jean Depara et de tant d’autres. Mais son apport le plus décisif ne fut pas de montrer cette photographie, il fut de la penser. Le volume Revue noire. Histoire, histoires reprend à ce titre des textes qui plus de dix ans après leur première publication n’ont rien perdu de leur finesse sagace. Si le temps a eu une influence sur les écrits critiques de Simon Njami, Jean Loup Pivin et Pascal Martin Saint Léon c’est simplement que dans sa fuite il en a fait des classiques.
Jean Loup Pivin, Pascal Martin Saint Léon, Bruno Tilliette et Simon Njami, Revue noire. Histoire, histoires, Paris, Éditions Revue Noire, 2020, 400 p., 45 euros.