La Petite Sirène résume plus ou moins l’idée que l’on se fait aujourd’hui de ce qu’est une sirène. Mi-humain magnifique, mi-poisson chatoyant, le mythe de la sirène fascine aujourd’hui encore, et si l’esthétique de la sirène a changé au fil des ans, le folklore de la sirène intrigue depuis des siècles. Mais en vous promenant dans certains musées, vous pourriez trouver un curieux objet qui dépeint une vision de la sirène connue sous le nom de ningyo, qui diffère largement de ce que vous et moi imaginons en entendant ce mot.
Les ningyo, mot qui signifie littéralement « homme-poisson« , sont enracinés dans la culture japonaise, et lorsque ces mythes ont atteint l’Europe et au-delà au XIXe siècle, elles ont totalement fasciné les Occidentaux. Généralement représentée comme une créature ressemblant à un poisson, avec des dents pointues et acérées, portant parfois des cornes, la ningyo différait également des idées qu’on se faisait des sirènes dans les années 1800. Les légendes accompagnant cette créature mythique firent de la ningyo la nouvelle tendance pour les collectionneurs de l’époque.
L’introduction des ningyos en occident est largement due à Philipp Franz Balthasar von Siebold, médecin et naturaliste allemand. Au cours du XIXe siècle, le Japon était largement fermé aux étrangers pendant la période du sakoku (pays fermé), mais Siebold était l’un des rares Occidentaux à avoir obtenu l’autorisation d’y entrer. Siebold a décrit ses voyages au Japon dans les années 1820 et les Européens et les Américains se sont passionnés pour les écrits anthropologiques sur ce mystérieux pays asiatique.
Dans ses écrits, Siebold raconte sa rencontre avec un pêcheur qui lui a montré une ningyo. D’après le pêcheur, posséder un ningyo était censé vous protéger contre les épidémies, un concept qui nous aurait encore fait rire il y a quelques mois, mais devient plus compréhensible alors que nous traversons une pandémie. Le souvenir que Siebold raconte a cependant suscité une fascination plus profonde pour les ningyos et les Occidentaux ont également commencé à vouloir en posséder.
L’histoire du pêcheur à Siebold est l’une des nombreuses histoires mettant en scène les ningyo et leurs semblables. Selon une autre légende, un pêcheur a été transformé en sirène pour avoir pêché dans des eaux protégées. Sa transformation lui fit prendre conscience de ses erreurs et il demanda au prince d’exposer ses os après sa mort pour avertir ses semblables sur ses égarements. Aujourd’hui, un temple de Tenshou-Kyousha à Fujinomiya accueille encore cette sirène momifiée, dont on dit qu’elle a plus de 1 400 ans. Un autre conte, et peut-être l’un des plus connus, est celui de Yao Bikuni, qui se traduit approximativement par « la nonne de 800 ans« . Cette parabole sur la mortalité raconte l’histoire d’une jeune femme qui aurait mangé la chair d’une ningyo dans l’espoir d’obtenir l’immortalité. Au fil des ans, elle n’aurait pas vieilli comme son entourage. Au cours de sa longue vie, elle aurait eu plusieurs maris et les aurait enterrés l’un après l’autre, avant de finalement devenir nonne. Au bout de 800 ans, la religieuse serait devenue apathique et fatiguée de vivre et elle se serait suicidée.
Avec l’intérêt croissant pour les ningyo, alimenté par les voyages de Siebold et la croyance qu’elles pourraient protéger leur propriétaire, le marché pour cette simili-sirène s’est développé en Occident, et il était initialement très difficile de mettre s’en procurer, même si comme d’habitude, on pouvait également acheter des contrefaçons. En 1842, une figurine ningyo appartenant à P.T. Barnum fut exposée sous le nom de « Sirène Feejee », devint célèbre et suscita une seconde vague d’intérêt. Quelques années plus tard, lorsque le Japon s’ouvrit au commerce dans les années 1850, les ningyos devinrent plus largement disponibles et se retrouvèrent dans des collections en l’Europe et aux États-Unis. Henry Wellcome, dont les œuvres constituent la Wellcome Collection à Londres, est devenu propriétaire de trois ningyo au début des années 1900, et l’une d’entre elles est toujours exposé aujourd’hui au Science Museum de Londres.
Si elles restent toujours aussi étonnates, les récentes radiographies et autopsies effectués sur des ningyos encore en circulation ont permis de mieux comprendre ces objets si populaires au XIXe siècle. En gros, les figurines de ningyoétaient faites d’une tête de singe d’un torse momifiés, attachés à la queue d’un poisson, créant une sirène de l’autre monde. La « sirène Feejee », qui appartient aujourd’hui au Peabody Museum de Harvard, est constituées de vraies dents d’animaux, de griffes et une queue de poisson, ainsi que du papier mâché, du tissu, du fil de fer, de l’argile, entre autres matériaux.
Trouver un ningyo dans un musée est une curiosité qui continue aujourd’hui encore de susciter les passions. Bien que nous en sachions plus sur de tels objets de curiosité et que nous comprenions mieux leur composition, elles demeurent un témoignage de notre fascination historique pour les sirènes, un phénomène qui se poursuivra certainement pendant les siècles à venir.