En matière de festivals consacrés aux cinémas queer, l’abondance règne, et c’est tant mieux. Parmi ces rendez-vous annuels, les « Écrans mixtes » de Lyon, qui fêtent leur dixième édition, se distinguent par une heureuse alliance entre les classiques redécouverts et les nouveautés. Après avoir honoré l’an dernier James Ivory (https://www.art-critique.com/2019/03/libres-images-festival-ecrans-mixtes/), le festival invite cette fois André Téchiné, qui est lui aussi un « Père de l’Église » du cinéma gay. La séance d’ouverture, le 4 mars, sera dédiée à ses Roseaux sauvages de 1994 – un quart de siècle, déjà ! Ce film élégiaque, où la beauté des acteurs (Stéphane Rideau, Gaël Morel) n’a d’égale que la splendeur de la lumière méridionale, a pris pour toute une génération valeur de manifeste intime ; il vaudra la peine d’observer sa réception par les jeunes cinéphiles de 2020. Les précieux Roseaux seront sertis dans une couronne de films représentant quatre décennies de création, depuis les mythiques Soeurs Brontë de 1979 où Roland Barthes soi-même fait une apparition jusqu’au récent et magnifique Quand on a dix-sept ans, qui montre avec brio que Téchiné n’a rien perdu de sa délicatesse et de sa divination des codes garçonniers.
Des joyaux plus rares, et à l’eau plus mélangée, viendront relever le programme du festival. « Écrans mixtes » a ainsi invité Philippe Vallois, un pionnier de la libération des images, qui présentera plusieurs films, dont le dernier est à peine achevé. Vallois est connu et aimé notamment pour Johan, mon été 75, dont le millésime est inscrit dans le titre et qui sera montré à Lyon le 9 mars. Ce journal filmé d’un amoureux dans le Paris gay des années FAHR est une ode à la libre jouissance qui a fait date, en parfaite harmonie avec les textes d’un Hocquenghem ou les photos d’un Larrieu. Le même soir sera projeté un chef-d’oeuvre presque inconnu de 1979, Nous étions un seul homme, qui est probablement l’un des creusets secrets où Yann Gonzalez a forgé son univers onirique et sensuel ; ajoutons que l’un des rôles principaux est tenu par Piotr Stanislas, dont le nom ne dira rien aux plus jeunes mais éveillera des souvenirs chez quelques grandes personnes…
Le cinéma queer n’est pas, heureusement, réduit à son histoire. Il est vivant, bien vivant, et on pourra en mesurer le dynamisme à Lyon. Le cinéma lesbien sera représenté par l’une de ses inventeuses, Barbara Hammer, dont on verra toute une série de films et le documentaire The female closet. De Madeleine Olnek, Wild nights with Emily revisite le mythe d’Emily Dickinson en restituant à la poétesse tout son érotisme. Presque au hasard, signalons encore le nouveau film de Marco Berger, talentueux cinéaste argentin du désir taiseux, ou un documentaire d’une grande figure de la scène queer allemande, Rosa von Praunheim, autour d’une question explosive : et si Goethe était gay ? Le festival est d’ailleurs accompagné par une exposition au Goethe Institut, « Queer as German folk », sur laquelle nous reviendrons. Si l’on ajoute plusieurs projections de courts-métrages et des rencontres, on doit conclure que Lyon sera, début mars, la capitale du désir !