Un jardinier italien a fait la une des journaux du monde entier le mois dernier après être tombé sur ce qui semble être la deuxième œuvre d’art volée la plus recherchée au monde. Ce jardinier sans prétention a fait cette incroyable découverte en entretenant le domaine entourant le Musée d’Art moderne Ricci-Oddi dans la ville de Plaisance, au nord de l’Italie, où le tableau, une œuvre incroyablement rare de Gustav Klimt, estimée à 66 millions de dollars, avait été exposé 23 ans auparavant.
Bien que chaleureusement accueillie par les propriétaires de la galerie, cette découverte soulève presque autant de questions qu’elle n’apporte de réponses, l’identité des voleurs et les déplacements du tableau au cours des deux décennies qui ont suivi étant entourés de mystère et de confusion. Un tel chaos est malheureusement trop courant dans le monde de l’art, où le vol et la contrefaçon sont des pratiques inquiétantes et omniprésentes. Étant la plus grande industrie non réglementée de la planète, il n’est peut-être pas surprenant que le vol d’œuvres d’art soit le troisième commerce illicite le plus lucratif après celui des drogues et des armes. Selon un rapport de 2014 du Fine Art Expert Institute, plus de la moitié des œuvres d’art en circulation sont soit fausses, soit attribuées par erreur.
Évidemment, ce genre de duplicité a d’énormes ramifications financières non seulement pour les acheteurs privés, dupés à débourser des millions pour un faux objet, mais aussi pour les galeries trompées ou pillées par des acteurs sans scrupules et pour le public, privé de pouvoir apprécier les œuvres authentiques. Dans cette optique, les musées et les autorités ont mis en œuvre des méthodes plus rigoureuses et plus sophistiquées pour protéger leurs biens et retrouver les coupables, mais la prévalence de pratiques douteuses laisse penser qu’il s’agit d’un problème plus grave que l’insuffisance des systèmes de sécurité. C’est peut-être plutôt la nature même du milieu qui rend le monde de l’art si enclin à l’artifice et aux activités illégales.
Autrefois perdu, aujourd’hui retrouvé
Les examens pour vérifier que le tableau retrouvé à Plaisance est bien le Klimt perdu depuis longtemps sont toujours en cours, mais on suspecte fortement l’œuvre d’être le Portrait d’une Dame, le seul exemple connu de « double portrait » de Klimt (un repeint sur une toile préexistante). Il a été trouvé dans une cavité du mur de la galerie elle-même, scellé à l’intérieur d’une voûte et recouvert de vigne. Étonnamment, le tableau était dans un état immaculé, ce qui ne concorde pas avec le fait qu’il ait passé plus de 20 ans à l’intérieur d’une alcôve humide et moisie. Mais ce n’est pas le seul élément de l’affaire qui laisse les enquêteurs dubitatifs. Les autorités italiennes maintiennent avoir immédiatement passé chaque centimètre carré du terrain de la galerie au peigne fin après le vol initial de 1997, et il est donc très improbable qu’elles aient pu manquer une cachette aussi évidente.
Pour brouiller davantage les pistes, en 2016, un informateur anonyme a prétendu être impliqué dans le vol, déclarant que lui et un membre du personnel de la galerie avaient effectué le vol initial en deux étapes. Le scénario complexe décrit par le prétendu voleur semble sortir tout droit d’un film : d’abord, insistait-il, il aurait discrètement volé le vrai Klimt, le remplaçant par une copie de haute qualité. Une prochaine exposition aurait cependant attiré une attention indésirable sur le tableau – et le voleur serait donc retourné à la galerie et aurait également volé la copie.
Bien que le voleur autoproclamé ait prétendu avoir vendu le tableau il y a longtemps pour une grande quantité d’argent et de cocaïne, il aurait aussi insisté, bizarrement, pour que le tableau soit rendu avant le 20e anniversaire de sa disparition. Ce Klimt n’a pas fait son retour en février 2017, mais maintenant, le tableau prodigue a mystérieusement refait surface, engendrant une foule de nouvelles théories. Outre l’idée extravagante qu’une âme bienveillante ait subrepticement rendu le tableau à la galerie pour des raisons inconnues, il y a aussi la possibilité qu’il ait été caché sur place pour faciliter la fuite au moment même du crime, puis abandonné par la suite, bien que cela n’explique pas comment il est resté dans un état presque impeccable ou comment la police l’a raté à ce moment-là.
Ajoutant une couche de plus au mystère, le directeur de la galerie, Stefano Fugazza, a écrit dans son journal, quelques jours avant le vol de 1997, qu’il avait envisagé un plan où il aurait, de concert avec la police, prétendu que le tableau avait été volé afin d’obtenir une presse supplémentaire pour la prochaine exposition de la galerie. Naturellement, Fugazza insiste aujourd’hui qu’il a abandonné le plan : « Mais maintenant, la Dame a disparu pour de bon », écrira-t-il plus tard, « et maudit soit le jour où j’ai pensé faire une chose aussi insensée et puérile ».
Si toute cette saga semble plus avoir sa place à Hollywood que dans la vie réelle, de telles histoires ne sont pas si improbables dans le monde de l’art. En effet, l’une des œuvres d’art les plus célèbres de tous les temps, la Joconde, qui attire quelque 30 000 personnes par jour, n’a acquis son prestige actuel qu’après avoir été dérobée en 1911. En effet, sa notoriété était alors si faible qu’il fallut 28 heures aux autorités du Louvre pour constater son absence, et l’article du Washington Post qui rapportait les faits comportait une image du mauvais tableau.
Ailleurs, un autre vol très médiatisé impliquant cinq tableaux dérobés en 1979 au château de Friedenstein, en Allemagne de l’Est, a récemment abouti à une conclusion satisfaisante mais stupéfiante. Pendant quarante ans, les détectives du dimanche et les autorités publiques ont cherché à savoir qui avait exécuté le vol d’œuvres d’art audacieux et déroutant de Gotha. Les deux voleurs auraient apparemment escaladé les murs du château, seraient passés à côté de tableaux bien plus précieux pour s’emparer de cinq chefs-d’œuvre de la Renaissance soigneusement choisis. Parmi les suspects figuraient le personnel du château, une célèbre famille de trapézistes et le colonel de la Stasi Alexander Schalck-Golodkowski.
Ces tableaux d’une valeur totale de plus de 48 millions d’euros, dont un autoportrait d’Anthony van Dyck, un paysage de Brueghel l’Ancien et l’un des portraits de cour les plus appréciés de Holbein, ont cruellement manqué au musée du château. Il y a quelques mois, cependant, ils ont été rendus à la ville après de furtives négociations entre le maire et un avocat affirmant être en contact avec des « clients » en possession des œuvres d’art. L’histoire fournie par ces « clients » pour expliquer où se trouvaient les tableaux a été jugée « donquichottesques, invérifiable et invraisemblable » par les autorités et l’enquête est toujours en cours.
L’omniprésence du crime dans le monde artistique
Ce genre de raids audacieux se fait encore de nos jours. Un autre des tableaux les plus célèbres du monde, Le Cri d’Edvard Munch, a été volé non pas une mais deux fois, en 1994, puis à nouveau en 2004. En 2010, le cambrioleur surnommé « Spiderman » s’est enfui du Musée d’Art Moderne de Paris avec cinq tableaux d’une valeur cumulée de 115 millions de dollars ; bien que le coupable ait été attrapé, les œuvres d’art n’ont jamais été retrouvées. En 2017, une pièce de monnaie géante en or massif pesant plus de 100 kg et mesurant plus d’un demi-mètre de diamètre a été volée dans un musée de Berlin.
L’année 2019 a même connu son lot de scandales. En septembre, des toilettes en or massif ont été la cible peu orthodoxe d’un raid réussi au palais de Blenheim en Angleterre. Plus récemment, une tentative audacieuse de voler deux Rembrandts inestimables dans une galerie du sud de Londres a été déjouée de justesse après qu’un policier ait trouvé le voleur caché dans des buissons à l’extérieur. Le suspect a réussi à s’échapper en aspergeant le policier au visage d’une substance inconnue, mais dans sa hâte, il a heureusement abandonné son butin. Malheureusement, un musée de Dresde n’a pas eu cette chance, car des bandits se sont échappés avec des objets d’art et des bijoux estimés à un milliard d’euros ; le plus grand vol de ce genre depuis la Seconde Guerre mondiale.
Bien que ces incidents notables fassent la une des journaux, ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg en matière de criminalité dans le monde de l’art. Interpol répertorie environ 50 000 œuvres d’art volées par an et le marché noir des objets illégaux est estimé entre 6 et 8 milliards de dollars par an. Les contrefaçons crédibles d’artistes comme Dalí et Ernst sont si répandues que les acheteurs se méfient particulièrement de l’achat de leurs œuvres, mais il n’y a pas que les peintures qui sont sujettes à la ruse et aux subterfuges.
En effet, les sculptures sont des cibles plus populaires que les tableaux, alors que même les curiosités de valeur comme les œufs de Fabergé sont du pain béni pour les faussaires. Selon le plus grand expert mondial en la matière, 99 % des objets qui lui sont présentés pour authentification sont des faux. Dans une anecdote particulièrement stupéfiante, il révèle qu’un riche collectionneur du Moyen-Orient lui a apporté une collection qu’il avait acquise pour plus de 60 millions de dollars, dont chaque œuvre était une imitation. Le collectionneur a étouffé cette découverte, préférant sauver la face plutôt que de sauver sa fortune.
À la recherche de solutions
C’est cette prédilection pour le secret et les apparences qui entravent la lutte contre ces criminels qui parasitent le monde de l’art. En plus de garder le silence sur les cas où ils ont été trompés, de nombreux collectionneurs se renseignent rarement sur la provenance ou l’histoire des objets qu’ils souhaitent obtenir, selon le protocole standard du monde de l’art. Il n’y a aucune autre transaction commerciale au monde où un acheteur débourserait des millions de dollars sans recevoir de documentation ou d’assurance que son achat est légitime et légal.
Pour tenter d’atténuer les difficultés que cela pose pour la récupération des œuvres d’art volées, une solution envisagée consiste à offrir une amnistie aux investisseurs trompés qui se retrouvent avec des œuvres d’art volées sur les bras, ainsi qu’une récompense pour leur retour. Étant donné que les objets se vendent généralement pour une fraction seulement de leur valeur réelle sur le marché noir, souvent autour de 10 % de leur valeur réelle, une offre à 5 % serait un bon compromis pour les musées et les galeries qui cherchent à récupérer leurs biens ainsi qu’une partie de la fortune volée. Bien entendu, de tels frais ne doivent jamais être payés qu’à des parties trompées et non aux voleurs et receleurs, de peur de créer un terreau fertile pour l’extorsion dans le monde de l’art.
Certains pourraient soutenir que celui-ci existe déjà. Étant donné que le vol d’œuvres d’art est un phénomène si répandu et que les forces de l’ordre sont si peu équipées pour y faire face, il est difficile de ne pas être d’accord. Actuellement, il n’y a qu’un seul agent chargé de lutter contre les crimes dans le monde de l’art pour 21 millions de citoyens aux États-Unis, ce qui fait un total de 16 personnes qui se consacrent à l’éradication de cette pratique ; au Royaume-Uni, il n’y en a que 2,5 (l’un d’entre eux ne travaille qu’à temps partiel). Le renforcement des effectifs pourrait même s’avérer contre-productif, si l’on en croit une analyse. Les experts de ce domaine affirment que le renforcement de la police pourrait dissuader les musées de mettre en œuvre leur propre sécurité, ce qui entraînerait une augmentation générale des vols.
Mais qu’il s’agisse de renforcer les mesures de protection pour empêcher que les crimes ne se produisent au départ ou d’investir dans de meilleures méthodes pour traquer les transgresseurs après coup, ces deux solutions semblent traiter les symptômes du problème, plutôt que sa cause profonde. La vérité, c’est que le vol d’œuvres d’art est si répandu en raison de cet environnement qui encourage la confidentialité jusqu’à la clandestinité, ce qui facilite grandement les choses pour ceux qui opèrent en dehors de la loi.
Les symptômes d’un système défaillant
Affolé par la pléthore de vols d’œuvres d’art très médiatisés, le monde de l’art tente de trouver des solutions novatrices, y compris la perspective d’introduire une technologie là où l’humain a échoué. L’utilisation de blockchain pour créer un journal en ligne immuable des œuvres d’art depuis leur point d’origine jusqu’à celui de la vente pourrait contribuer à améliorer la transparence et à garantir l’authenticité de l’ensemble du processus, tout en préservant l’anonymat des parties concernées.
C’est une suggestion qui mérite certainement d’être prise en considération. Étant donné que la supervision humaine semble totalement incapable de gérer adéquatement une industrie estimée à plus de 67 milliards de dollars par an, et qui semble prédisposée à faciliter la corruption, il est peut-être temps de laisser les automates prendre les rênes. Les 90 % de victimes de vol d’œuvres d’art qui ne récupèrent jamais leurs biens volés seraient sûrement reconnaissants de ce changement.
La solution la plus sûre, cependant, serait un changement de paradigme dans la culture du monde de l’art. Tout ce qui concerne le commerce des beaux-arts est propice à huiler les rouages d’une opération criminelle, de son étiquette tacite qui exige que les personnes concernées ne posent pas de questions, jusqu’aux énormes chambres fortes et aux ports francs mis en place pour s’assurer que les œuvres accumulent de la valeur même lorsqu’elles prennent la poussière, en passant par l’absence presque totale de réglementation régissant l’industrie. À moins d’un changement fondamental dans la façon dont les négociants, les collectionneurs et les intermédiaires exercent leurs activités, il est difficile d’envisager un avenir où les faux et les vols cesseront de proliférer.