Somptueux catalogue pour la vente de bandes dessinées prévue chez Christie’s Paris le 20 novembre et forte de 319 numéros. À tout seigneur tout honneur, saluons la présence de plusieurs pièces historiques du grand Hergé, à commencer par une planche du Sceptre d’Ottokar destinée à la prépublication dans Le Petit XXeme. Il devrait en coûter au bas mot 18 000 euros pour une simple case du Temple du soleil de 10 cm de côté. Mais les raretés atteindront des sommets d’un autre ordre ; parmi elles, une splendide aquarelle de dédicace à Rodolphe de Cröy, datée 1943, et une encre de Chine pour l’une des mythiques cartes de voeux d’Hergé, de la même période. On attend à 150 000 euros ou plus une grande planche pleine d’animation pour un produit dérivé du Secret de la Licorne. Presque aussi prisés que les originaux de Tintin sont désormais ceux d’Alix. La perfection formelle des planches de Jacques Martin devrait une nouvelle fois attirer les collectionneurs, qui se disputeront à 20 000 euros et plus des pages des Légions perdues ou du Dernier Spartiate, sans oublier Lefranc.
Tous les héros sont au rendez-vous, en effet, et la liste des lots devient la litanie des silhouettes mythiques qui ont fait rêver et rire petits et grands : Blake & Mortimer, Blueberry, Tanguy & Laverdure, Spirou, Gaston, Achille Talon en duo avec l’inusable Lefuneste, Largo Winch, Iznogoud, Ric Hochet, Bob Morane, Rahan, Michel Vaillant, Valerian, Lucky Luke… Les petits gros hilarants croisent les grands minces du désert, les pantouflards à catastrophes discutent au passage avec les aventuriers des airs ou de l’espace… Les plus grands créateurs d’atmosphères rivalisent avec leurs créatures. Citons presque au hasard Moebius, avec plusieurs planches de L’Incal et une magnfique aquarelle, « Arzak et le dragon » (2009), Enki Bilal, ou le génial Tardi, dont sont proposées notamment plusieurs vignettes pour la série des Céline.
À la différence de la vente Coutau-Bégarie de mai dernier, les maîtres du dessin garçonnier ne seront pas nombreux cet automne – quoiqu’Alix… On note cependant une gouache bien troussée représentant un bateau corsaire par Pierre Joubert (1964). Bien mieux représentés sont les dessinateurs de l’insoutenable légéreté du monde. De Sempé on retiendra un « Concerto pour la main gauche » en lavis, véritable concentré de l’univers sempéen, et un beau dessin pour l’album Saint-Tropez de 1967. Philippe Geluck, dans un tout autre style, a imaginé sur toile un dîner de famille « Chez les Pollock » qui fait honneur à son humour malin et bienveillant. Toute récente (2014), une page du carnet mexicain de Nicolas de Crécy s’impose par une saisie subtile et élégante des ambiances lointaines. Et la fascinante première planche en couleurs du Cahier bleu de Juillard (1994), associée à d’autres oeuvres du même artiste, permet de suivre chez lui le motif du nu féminin.
De l’autre côté du catalogue, au massif belge et ludique fait pendant un bloc italien et sensuel, dominé par deux génies : Pratt et Manara – sans oublier Guido Crepax, l’illustrateur délicieusement pervers d’Emmanuelle et d’Histoire d’O. C’est un peu par les marges que sera accessible l’oeuvre du père de Corto : une planche de Jesuit Joe (1980), un dessin original pour le portofolio Et in Helvetia Corto (1991) et un strip de La Jeunesse de Corto (1981). Manara, lui, est représenté par un ensemble exceptionnel d’érotiques, presque tous en couleur, avec cette palette sensible et chaude qui fait l’un de ses charmes. Les amateurs ne sauront pour laquelle des femmes de Manara se ruiner, tant elles rivalisent de séduction et de voluptés promises : un véritable escadron de femmes-pirates, qui imposent dans une nature aussi généreuse qu’elles leurs lèvres pulpeuses et entr’ouvertes, leur corsage largement dégraffé, leurs jupes haut remontées, leurs mains souvent égarées entre des cuisses fuselées… Petits reporters asexués ou muses hypersexuées, les figures du « neuvième art » ne cessent de susciter le désir, comme on le vérifiera certainement à Drouot le 20 novembre.
Illustration : Hugo Pratt – DR Christie’s.