Il est une disgrâce qu’Ola Rindal ne connaîtra jamais : c’est de devenir photographe officiel chez les puissants. Les torses bombés et les coups de menton sont à des années-lumière de son monde. Son journal photographique, dont les éditions Libraryman livrent ces jours-ci quelques belles pages, faisant directement suite à son récent album sur Paris, s’attache à une branche tombée au sol, à un halo de lumière sur un mur, à un oiseau solitaire sur un fil, à un rayon de soleil dans une flaque d’eau. Le royaume d’Ola Rindal est celui des choses minuscules ; en souverain modeste et souriant, il y joue le rôle – éminemment photographique – de révélateur : par lui, par le miracle quotidien de son oeil, est révélée l’éminente dignité, la saisissante beauté des choses.
Serait-ce à dire que le monde d’Ola Rindal est sans humains ? Certes non. Mais, dans cet album, le photographe leur laisse l’entière liberté de se comporter en passants, sans pose. Alors ils passent… Un groupe de silhouettes s’éloigne dans une rue, un homme de dos monte un escalier, une petite fille à la fois se montre et se cache à travers un panneau de verre dépoli. Un humour léger sait trouver place dans l’économie du recueil, signé par une trace de main, comme un sourire du mur. C’est souvent en ville que Rindal part à la quête des images, et les traces de l’activité humaine ne manquent pas, incongrus parfois, comme cette chaise abandonnée sur un trottoir. Mais la photographie répugne à se faire plan, elle aspire à la part d’ombre, aux lambeaux de brume qui mangent le paysage par morceaux. Elle espère, aussi, l’intrusion du naturel dans tout ce minéral – ce n’est certes pas un hasard si Notes on ordinary spaces s’ouvre et se referme sur une tige de fleurs aux délicates corolles jaunes, poussant entre le bitume et la tôle. Walter Benjamin aurait aimé ce livre.
On ne peut éviter de penser, en regardant les images d’Ola Rindal, à la poésie d’Extrême-Orient, à son génie d’exaltation des petits riens, de célébration épiphanique des trésors du quotidien, aussi invisible à nos yeux blasés que la lettre volée d’Edgar Poe. La référence peut sembler convenue, mais elle s’impose véritablement (et pas seulement parce qu’elle renvoie à une tradition que l’artiste a des raisons personnelles de bien connaître). Les photographies d’Ola Rindal sont des poèmes – des poèmes brefs, sans rimes riches, sans césure à l’hémistiche, sans le moindre pathos non plus. Mais ces petits chefs-d’oeuvre purs et pudiques parlent au coeur et s’inscrivent dans la mémoire, aussi doucement que durablement.
Ola Rindal, Notes on ordinary spaces, éd. Libraryman (Anvers), novembre 2019 – https://www.libraryman.se/ola-rindal-notes-on-ordinary-spaces/ – Images : courtesy de l’éditeur.