Les amateurs du Quattrocento connaissent la coutume des coffres de mariage, ces objets précieusement ornés qui servaient, dans les familles aisées de la Renaissance, à ranger les pièces de la dot, avant d’être installés à demeure dans la chambre conjugale, au confort de laquelle ils participaient. La Toscane en a produit, mais aussi l’Ombrie : à la recherche des témoins subsistants de cette dernière province sont partis Andrea De Marchi et Matteo Mazzalupi, en vue d’une exposition originale qui vient d’ouvrir à Pérouse sous le joli vocable « L’Automne du Moyen Âge en Ombrie ». Les collections locales ont été sollicitées tout comme les grands musées européens, le Victoria & Albert Museum ou le Städel Museum. Le visiteur peut ainsi admirer l’essentiel de ce que l’on conserve en matière de coffres ombriens, rutilants d’or et de couleurs. Les historiettes édifiantes qui y sont parfois représentées ne retiennent l’attention que de loin, tant on est séduit d’abord par la préciosité méticuleuse des décors, d’une rare élégance. Des cortèges de jeunes filles et de jeunes gens à la taille bien prise dans des costumes de cour défilent en musique dans des jardins idylliques. Le gothique international brille là de tous ses feux : comme on pouvait s’y attendre, il est resté de mode à Pérouse nettement plus longtemps qu’à Florence, où l’on expérimentait les voies de ce que l’histoire de l’art vasariste persiste souvent à considérer comme la « vraie » Renaissance.
La préparation de l’exposition pérugine a été l’occasion de redécouvrir l’existence d’ateliers spécialisés dans la production des coffres, mais bien sûr disposés aussi à livrer panneaux et polyptiques. Au premier rang de ces maîtres de botteghe vient Giovanni di Tommasino Crivelli, qui est au coeur de la présentation. D’autres peintres ombriens du milieu du XVe siècle lui font cortège, comme Mariano d’Antonio, représenté par un délicieux Miracle de s. Antoine, ou Bartolomeo Caporali, dont Pérouse conserve une singulière Annonciation, dans laquelle une colombe descend en piqué sur la Vierge pour lui remettre une étoile de feu. Deux importants panneaux, venus du Musée Jacquemart-André et du Petit-Palais d’Avignon, retrouvent pour quelques mois leur patrie artistique.
Dans une région qui fut vraiment, à la fin du Moyen Âge, le coeur spirituel de l’Italie, il n’est pas étonnant que la peinture de dévotion soit particulièrement riche, en même temps que d’une belle délicatesse – que ce soit sur panneau ou sur parchemin. L’usure même de certains polyptiques ou fragments atteste un long usage. Un admirable S. François attribué à Pellegrino di Giovanni, dont les traits fins et gracieux contrastent avec la bure grise, adoucie toutefois par le fond d’or à ramages et le rose du livre que porte le saint, honore l’une des lignes de force de l’histoire ombrienne. Tout aussi courant dans les églises italiennes était S. Sébastien, dont l’exposition montre un spécimen particulièrement criblé de flèches ! Mais, dans les imaginaires comme sur les autels, la « cour céleste de Paradis » était dominée par sa reine, la Vierge, dont on admirera à la fois un beau Couronnement et une Miséricorde : dans cette dernière scène, la Madonna dei raccomandati accueille dans les plis de son manteau ceux qui se confient en elle, tandis que l’Agneau mystique veille doucement sur le livre aux sept sceaux. Les images cultuelles trouvaient place ainsi au coeur des sociabilités urbaines, confraternelles, paroissiales ou professionnelles, tout comme le Palais qui accueille l’exposition est solidement posé au coeur même de la cité, entre cathédrale et Fontaine majeure. Le Quattrocento se décline décidément au pluriel, non seulement à l’échelle européenne ou entre grandes régions de la Péninsule, mais aussi en cette Italie centrale à la vie artistique si intense. La belle exposition de Pérouse (avec son catalogue) en fournit une nouvelle preuve, à l’usage des spécialistes autant que des rêveurs d’images.
L’Autunno del Medioevo in Umbria – Pérouse, Galerie nationale d’Ombrie – jusqu’au 6 janvier 2020.
Image de tête : coffre pérugin du XVe s., Londres, Victoria & Albert Museum.