Du surréalisme à l’expressionisme abstrait, la pratique d’Arshile Gorky

Du surréalisme à l’expressionisme abstrait, la pratique d’Arshile Gorky
Arshile Gorky, "Garden in Sochi", 1941, © 2019 Estate of Arshile Gorky / Artists Rights Society (ARS), New York.
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« Je n’aime pas ce mot – “finir”. Quand une chose est finie, cela veut dire qu’elle est morte, n’est-ce pas ? Je crois en ce qui dure toujours. Je ne finis jamais une peinture – j’arrête simplement d’y travailler pendant un moment. J’aime la peinture parce que c’est quelque chose que je ne peux jamais mener à son terme. »

Ces quelques mots issus d’un article du Sunday Republican Magazine de 1948 et traduits de l’anglais par l’historien de l’art Éric de Chassey sont d’Arshile Gorky, un des premiers peintres de l’École de New York.

Né en Arménie turque en 1904, Gorky quitte le pays dès ses onze ans pour se réfugier en Arménie russe avec sa mère et sa sœur afin d’échapper au génocide arménien. À seize ans, suivant l’exemple de son père qui s’était enfui en Amérique pour échapper au service militaire turc lorsqu’il était enfant, il émigre aux États-Unis. Il s’inscrit à la Rhode Island School of Design puis devient professeur de dessin à la Grand Central School of Art après avoir emménagé à New York en 1925.

En parallèle de sa profession d’enseignant, il se lance dans une carrière d’artiste en autodidacte. Ses premières créations s’inspirent de Paul Cézanne et d’Henri Matisse comme le montre par exemple son œuvre intitulée Bound in Sleep réalisée en 1925. À partir de 1927, il s’intéresse également à Pablo Picasso puis découvre les artistes abstraits européens tels que le sculpteur Jean Arp et le peintre Joan Miro dont les œuvres tendent à cette époque vers des formes de plus en plus organiques. Il conçoit alors des peintures dont les compositions sont construites à la manière cubiste mais dont les formes sont toujours arrondies. Bien qu’il ne s’agisse pas d’abstractions mais de toiles à sujets, les figures représentées sont de plus en plus difficiles à distinguer au fil des années.

Arshile Gorky, « Diary of a Seducer », 1945, © 2019 Estate of Arshile Gorky / Artists Rights Society (ARS), New York.

 

Alors que la Seconde Guerre Mondiale éclate en Europe et que les artistes s’exilent aux États Unis, il découvre le mouvement surréaliste que Peggy Guggenheim (épouse du surréaliste Max Ernst) expose dans sa galerie nommée Art of This Century dès son ouverture en 1942. Comme Clyfford Still et d’autres artistes de sa génération, il tente de mêler les formes abstraites découvertes en étudiant l’abstraction européenne au principe d’automatisme cher aux surréalistes. Les peintures de cette époque relèvent du mouvement Biomorphisme selon le terme utilisé par Alfred Cort Haddon dans son ouvrage Evolution in art publié en 1895 ou de l’Abstraction non-géométrique selon la terminologie utilisée par Alfred Barr dans son exposition Cubism and Abstract Art de 1936. Elles présentent des formes inspirées du monde organique qui se détachent sur des fonds lumineux.

Gorky abandonne cependant rapidement les contours pour créer des œuvres dans lesquelles la distinction figure/fond se fait de plus en plus flottante à l’image de son huile sur toile The Liver is the Cock’s comb réalisée en 1944. Cette œuvre, qualifiée par le chef de file du mouvement surréaliste André Breton d’un des tableaux « les plus importants réalisés en Amérique », anticipe les tableaux d’après son association avec les acteurs de ce mouvement (il participe à l’Exposition internationale du surréalisme de la galerie Maeght de Paris en 1947).

Arshile Gorky, « Summation », 1947, © 2019 Estate of Arshile Gorky / Artists Rights Society (ARS), New York.

 

À partir de 1947 en effet, Gorky se concentre sur la luminosité des fonds pour créer des atmosphères qui seront interprétées soit comme une influence des paysages arméniens soit comme la transcription de ses paysages intérieurs. Probablement affecté par l’incendie de son atelier en 1946 au cours duquel vingt-sept de ses tableaux sont détruits et se sachant atteint d’un cancer, il se suicide en 1948 à seulement quarante-quatre ans. Un tableau à la dominante noir et intitulé Last Painting (The Black Monk) est retrouvé sur son chevalet le jour de son décès.

Bien que disparu précocement, il reste dans l’histoire de l’art comme l’un des fondateurs de l’École de New York, c’est-à-dire comme l’un des premiers membres de cette génération d’artistes américains qui se sont emparés des développements de l’art moderne européen et qui ont propulsé les États-Unis sur la scène artistique à un niveau international. S’il est resté longtemps, au vu de sa courte carrière, sous l’influence des surréalistes et notamment sous celle du surréaliste chilien Matta dont l’œuvre l’a profondément marqué, les champs chromatiques de sa dernière période font de lui un annonciateur de l’expressionnisme abstrait et plus précisément, à l’intérieur de ce mouvement, du courant Colorfield Painting.