C’était l’un des spectacles dont on parlait le plus lors de la dernière édition du Festival Off du Festival d’Avignon. L’Origine du monde, sous ses airs de (fausse) conférence artistique, dérive en une véritable performance où l’on finit par se poser des questions sur le vrai et le faux, l’authentique et l’introspectif et où le public finit par devenir partie prenante par un effet scénique dont on ne dévoilera rien. Rencontre avec son initiateur, Nicolas Heredia.
Ce n’est pas la première fois que la compagnie La Vaste Entreprise propose un spectacle hybride entre plusieurs genres artistiques à la limite de la performance…
Nicolas Heredia : La compagnie a en effet été créée en 2007 dans cette envie-là, celle d’être à la croisée de plusieurs formes du spectacle vivant, entre arts visuels et narratifs. Mes influences sont d’ailleurs autant chez les artistes visuels que ceux des planches. Nos spectacles se travaillent presque comme en atelier, avec beaucoup de matière au départ. On récolte des objets, des morceaux de textes, des improvisations et tout finit par s’articuler. C’est assez plastique, comme démarche. C’est souvent l’acte qui fait œuvre : éviter de faire un théâtre inerte, que quelque chose se passe avec le public, que chaque représentation soit différente, éviter de reproduire la même chose que la fois précédente…
Quels étaient les spectacles précédents de votre compagnie qui s’inscrivent dans cette mouvance ?
NH : Notre premier spectacle, La Mastication des morts, jouée en solo, était une « installation théâtrale ». On a aussi travaillé Pérec, sous une forme plastique, puis nous avons continué à mêler les approches avec N’attrape pas froid, une création à partir des messages laissés sur mon répondeur par ma grand-mère qui a mené à une réflexion sur la vieillesse et l’ennui… Notre création précédente s’appelait Visite de groupe et était un détournement d’audioguides, une promenade avec des casques, où l’on visite le groupe de visiteurs lui-même. On retourne les observations vers le groupe, ce qui produit toute une réflexion sur ce que compose une heure à partager ensemble et ce qui va en rester… Le fait qu’une représentation soit réussie, ou pas, repose alors essentiellement sur le groupe. La place du public compte beaucoup pour moi et il est aussi au cœur de L’Origine du monde, où j’ignore ce qui va se produire, l’issue en est totalement incertaine. J’aime l’idée que ce soit une aventure potentielle à chaque représentation. Et c’est amusant de voir comment chacun se prête au jeu, en fonction de ses propres obsessions.
Quelle est la genèse de L’Origine du monde justement ?
NH : Il m’est arrivé malgré moi, exactement comme je le décris dans le spectacle, avec la découverte de cette reproduction du tableau de Courbet dans une brocante et le moment où je vais pour l’acheter. Je voyais qu’il y avait déjà quelque chose qui était en train de s’écrire dans ma tête. C’était manipuler du réel presque en direct pour amorcer une écriture, une aventure.
Se pose à un moment donné la valeur de l’art. C’est quelque chose qui vous interpelle ?
NH : La question de la valeur de l’art, en tant que marché, ne m’intéressait pas de prime abord. Le spectacle porte davantage sur la valeur que l’on accorde à quelque chose, à celle d’assister à une représentation, à celle de l’expérience collective du spectacle vivant qui est totalement subjective. C’est la valeur de l’aventure, en fait. On peut penser à Banksy dans le geste artistique, mais ce n’était pas mon objectif. Le spectacle s’est écrit très facilement, avec une véritable fluidité dans le raisonnement, à la fois logique et absurde. Il y avait surtout pour moi la question de performer ce spectacle, qui est à la fois très écrit et que l’aspect performatif reste incertain. Il fallait que ça vibre…
Cela ne vous dérange pas qu’on le qualifie de conférence de prime abord ?
NH : Le point de départ est effectivement proche d’une conférence, c’est le mot le plus générique, oui, avec une adresse directe au public, activant des questions chez le spectateur. Ce qui est essentiel pour ne pas rester à distance. Il faut que l’on puisse s’approprier le raisonnement du spectacle.
On a l’impression que le temps qui passe est un fil conducteur dans vos spectacles…
NH : La question de l’éphémère est centrale chez moi, elle traverse tous mes projets. Il y a l’éphémère de la représentation du temps passé ensemble qui aboutit ou pas, à quelque chose. Les autres spectacles sont peut-être sur des thématiques plus sensibles, plus dans la mélancolie du temps qui passe. Ici, avec L’Origine du monde, c’est plus un jeu d’esprit, même si pour moi il y a une certaine mélancolie, sur les choix que l’on fait ou non, ce qui est perdu pour toujours, la question du potentiel, qui croit et décroit en permanence. C’est sans fin !
La reproduction du tableau de Courbet est sous nos yeux pendant tout le spectacle. Pour apporter un peu plus d’authenticité au spectacle ?
NH : Même avec la toile sous les yeux et tous les indicateurs que je raconte qui sont la plus stricte vérité, il y a de nombreux spectateurs qui me demandent si tout est vrai ou non. C’est formidable de voir comment chacun place son propre curseur de la fiction et de la réalité. Cela dépend peut-être aussi du contexte. Quand on joue ce spectacle dans des musées d’art contemporain, cette notion est un peu moins présente.
Ce spectacle se joue justement dans les musées. Comment cela s’est-il passé ?
NH : On l’a créé au Carré d’Art à Nîmes, en partenariat avec le théâtre, il a été joué au musée Fabre de Montpellier et d’autres musées d’art contemporain sont intéressés pour une ou plusieurs représentations. J’aime jouer devant ces deux types de publics différents, ceux qui vont au théâtre et ceux qui vont dans les musées, cela sert la nature un peu floue de ce spectacle. Il y a assez peu de porosité entre ces deux mondes, ce ne sont pas les mêmes cercles, les mêmes fonctionnements et logiques, les mêmes économies. Et pour nous, cela fait du bien de ne pas jouer dans le même type de lieu. Cela correspond à la manière dont je travaille.
Quels sont vos autres projets ?
NH : J’ai un autre projet qui s’appelle Légendes, sur le modèle des plaques commémoratives. On va envahir l’espace public avec des messages de différents formats, des banderoles aux sous-bocks dans les bars. Où que l’on sera, il y aura un message qui commémorera l’ordinaire, l’ultra-banal. On légendera l’espace avec ses propres légendes. C’est encore un projet sur la modification de la réalité et les gens se prennent beaucoup au jeu.
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