Opéra Monde, la quête d’un art total 

Opéra Monde, la quête d’un art total 
À voir

Opéra Monde est une exposition à nulle autre pareille. La profondeur, évidente d’emblée, des connaissances « opératiques » du commissaire et l’ampleur du champ couvert par l’exposition donnent à imaginer des années, voire des décennies de passion et de recherches, dans les doubles champs de l’opéra et de l’art visuel du XXe et du XXIe siècle. Mais Opéra Monde n’est nullement pensée pour les experts de l’opéra ou de l’art moderne et contemporain. Elle est avant tout sensible et sensorielle, foisonnante et immersive, intelligente et créative, mettant en valeur des liens souvent ignorés entre arts visuels et opéra. Opéra Monde est un ensemble de joyaux qui se succèdent de salle en salle. On en sort émerveillé après une longue visite guidée, et convaincu qu’il faut la revoir pour en appréhender l’ensemble.

Alors on acquiert le catalogue, pour prolonger l’immersion et préparer la visite suivante. Magnifique ouvrage en écho à l’exposition, qui évite savamment la souvent fastidieuse systématisation muséologique, en invitant à une promenade littéraire de haut niveau : l’art de l’écriture et l’art du graphisme font ici partie de l’ « art total », ce désir, cette utopie qui s’exprime au fil des pages. L’avant-propos de Serge Lasvignes et Emma Lavigne, président et directrice du Centre Pompidou-Metz, souligne que « la quête de l’art total héritée du romantisme et de Wagner semble aujourd’hui se dissiper au profit d’une poétique de la simultanéité » et cite Peter Sellars, metteur en scène connu pour ses relectures d’ouvrages du répertoire intégrées dans les événements politiques et sociaux d’aujourd’hui : « il ne s’agit pas de fondre les arts en un seul, mais de leur donner la liberté d’être ensemble en respectant leur singularité pour favoriser la richesse de leur mise en contact ». Citation bienvenue, qui souligne en effet la richesse potentielle de toute immigration, fût-elle artistique. 

Bill Viola, L’ascension d’Isolde, 2005. Photo Kira Perov. © Bill Viola Studio.

 

L’exposition s’ouvre avec une œuvre majestueuse, fascinante et drôle permettant de présenter Malgorzata Szczensniak, la scénographe de l’exposition, et se clôt par une vidéo de Clément Cogitore. Pourquoi ce choix de Clément Cogitore (lauréat du prix Marcel Duchamp 2018, faut-il le rappeler), de la vidéo en général et de cette vidéo là en point d’orgue ? D’abord, la vidéo est elle aussi un art « complet » ( https://www.art-critique.com/2018/10/video-art-resistance-aussi/ ). Enrique Ramirez, vidéaste chilien, le souligne explicitement : « j’ai découvert quelque chose avec la vidéo qui n’existe nulle part ailleurs – je peux travailler avec le son, l’écriture, l’image et l’édition tout à la fois… ». La vidéo d’art offre un espace nouveau, un « environnement » nous permettant de penser le monde. L’art vidéo, très présent dans Opéra Monde, génère au sein de l’exposition un temps de contemplation et d’immersion supplémentaire et un regard haptique. Ensuite, comme le souligne Stéphane Ghislain Roussel, le commissaire de l’exposition, la présence de la vidéo se justifie notamment par les liens très forts entre l’opéra et l’image mouvante. Ici, le commissaire s’est centré sur la vidéo d’art, qui permet de recréer une réalité scénique : nombreuses sont les œuvres vidéo majeures du parcours, et notamment celles d’Hermann Nitsch, Saint François d’Assise (Bayerische Staatsoper, Munich, 2011), de William Kentridge, La Flûte enchantée (La Monnaie, Bruxelles, 2005), le Tristan et Iseult de Bill Viola (Opéra Bastille, Paris, 2004), puisque l’on parle désormais bel et bien du Tristan et Iseult de Bill Viola et non plus de Wagner…, le portrait fantastique du baryton Wolfgang Koch par Christophe Brech ( https://www.christophbrech.com/video/20-portraet-wolfgang-koch.html ), la création de Vergine Keaton Vous qui entrez ici (2019) et Semper Eadem de Grazia Toderi (2004), une vidéo réalisée par l’artiste italienne dans l’illustre maison d’opéra qu’est le Gran Teatro La Fenice à Venise.

Enfin, Les Indes galantes de Clément Cogitore (Jean-Philippe Rameau, 1735) reprennent la quatrième entrée, l’air des « sauvages », adaptant cette partie à un groupe de danseurs de Krump. Le Krump ? Un art né dans le ghetto noir de Los Angeles dans les années 1990. Dans l’atmosphère violente des émeutes et de la répression policière de l’époque, le Krump permet d’exprimer les tensions à l’œuvre dans le corps physique, social et politique : comme des jeunes gens dansant au-dessus d’un volcan… La vidéo, créée sur la 3ème scène de l’Opéra de Paris, peut être visionnée en cliquant ici : https://www.operadeparis.fr/3e-scene/les-indes-galantes Stéphane Ghislain Roussel explique ainsi son choix de la vidéo de Clément Cogitore en point d’orgue : cette vidéo est un chef d’œuvre de contemporanéité et d’originalité, une œuvre politique sans être « estampillée » et surtout, elle est un spectacle à venir, elle ouvre la suite, les suites possibles, de cette exposition. Seule une « ouverture » pouvait permettre de mettre une fin à Opéra Monde

Clément Gogitore, Les Indes galantes, 2018. Courtesy Les Films Pelléas. © Adagp, Paris, 2019.

 

Opéra monde : la quête d’un art total, Centre Pompidou-Metz, jusqu’au 27 janvier 2020.

Les Indes galantes mises en scène par Clément Cogitore sont à voir en version intégrale (3h40) à l’Opéra Bastille du 26 septembre au 15 octobre.

Image de titre : Grazia Toderi, Semper eadem, 2004.