Intitulée Harmonie Inconnue, du nom de la pièce de théâtre L’Harmonie inconnue de l’autre siècle écrite en 1992 par Dimitris Dimitriadis, l’exposition actuelle de la galerie Dominique Fiat met en dialogue les œuvres de cet écrivain avec celles du plasticien Pavlos Nikolakopoulos. Elle propose un grand écart entre deux univers qui ont pour toile de fond commune la Grèce et qu’accompagnent quatre vidéos d’artistes qui ont pris ce pays pour sujet de leur film.
Les aquarelles délicatement accrochées au mur et les pastels des carnets posés sur une table semblent inoffensifs ; rose pâle, bleu clair, jaune délavé, les couleurs choisies par Dimitriadis sont douces. Pourtant, les formes tracées à grands traits dans les carnets de dessins témoignent du caractère résolu de leur auteur. De même, celles réalisées à l’aquarelle démontrent, par leur caractère répétitif, la ténacité de l’artiste. Visages pris de profil ou corps vus de face, ces représentations par dizaines, mais qui auraient pu être montrées par milliers tant l’écrivain en a réalisées, attestent de sa détermination. Elles s’apparentent à des substituts à l’écriture lorsque l’inspiration se fait attendre. Semblables à des tests de Rorschach, ces tâches aqueuses qui dessinent des corps dénudés expriment la même obsession que celle qui traverse l’œuvre littéraire de Dimitriadis : le désir charnel.
À ce sujet du corps traité sans contour et presque sans matière s’opposent les figures abstraites et pourtant consistantes et vivantes de l’artiste Nikolakopoulos. Réalisées dans des teintes foncées et souvent opaques, ces formes prennent place sur des surfaces au sein desquelles le vide est prédominant. Nikolakopoulos pense en peintre, il raisonne avec et par ce médium, utilise le plein et le creux, l’ombre et la lumière, la couleur et le noir et blanc pour susciter une impression de mouvement. Il joue des contrastes pour créer un sentiment d’harmonie d’autant plus fort qu’il semble temporaire. Il rehausse les contours de ses papiers de quelques traits discontinus rendant le cadre moins rigide tout en soulignant sa présence. Abstraites, ses compositions ne sont donc pas sans contenu. Elles transmettent l’idée d’un équilibre précaire mais possible au sein de systèmes ouverts. La fragilité se mue ici en force.
Pour accompagner ce passage entre la disparition du corps humain et la construction de la forme abstraite, l’exposition donne à voir quatre vidéos qui, elles aussi, oscillent entre abstraction et figuration, mais plus encore entre réel et fiction, et ont pour point commun la Grèce. Ainsi, alors que l’artiste Marina Gioti propose un portrait fantasmé de la ville d’Athènes à partir de séquences réelles, Charalambos Margaritis réalise un film entièrement constitué de dessins imaginaires tandis qu’Andreas Angelidakis superpose images de synthèse et prises de vues réelles dans sa vidéo intitulée Vessel. Enfin, Raymundo présente le film Floating Line, tourné à Perama, ville portuaire proche d’Athènes, dont le nom signifie littéralement « passage ». Cette succession de plans autonomes effectués dans des transports en commun dessine une ligne droite et sans coupure : une pure abstraction à partir du réel.
Fruit d’une collaboration entre deux galeristes amoureuses de la Grèce, Dominique Fiat et Barbara Polla, cette exposition, qui souligne la difficulté d’opposer frontalement figuration et abstraction, est à visiter jusqu’au 23 novembre.