Il y a un mois est sorti aux Presses Universitaires de Rennes le dernier ouvrage de la collection Arts Contemporains. Dirigé par Dominique Chateau et José Moure (tous deux professeurs à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), il accueille les contributions de nombreux spécialistes de la création autour de la question de la recréation dans les arts. Placée sous l’égide de la phrase de Paul Valery « Œuvre = transformer quelque chose en vue de transformer quelqu’un », cette publication aborde le thème de la recréation selon une perspective ouverte mêlant réflexion sur la création et esthétique de la réception.
Du côté de la création, elle met en lumière la pratique du recyclage qui n’est pas l’acte suffisant de « revisiter » mais le geste modeste qui se nourrit d’un précédent. Recréer comme « créer à partir de et avec ce qui existe» est un acte de reconnaissance qui ne se substitue pas à l’original et n’a pas pour ambition de le compléter ou l’améliorer. Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’un simple redoublement comme en témoignent les nombreux exemples cités par les auteurs qui appuient sur les différences d’intention, de méthodes et de factures des œuvres qu’ils mettent en relation. L’interprétation personnelle de l’œuvre originelle, la complexité de la mémoire sont autant d’éléments qui distinguent la recréation de l’objet dont elle s’inspire.
Mais si créer semble toujours être un acte de recréation, prendre en charge une œuvre l’est tout autant. C’est du moins la thèse des auteurs qui envisagent le thème du côté de la réception ou comment le spectateur, toujours sollicité par le créateur, n’est pas un sujet passif mais un individu qui recrée l’œuvre dans l’expérience subjective qu’il en fait. Si l’œuvre est un aboutissement pour celui qui la réalise, elle est un point de départ pour celui qui la reçoit. Les auteurs s’inscrivent dans une tradition qui prend au sérieux le pouvoir de l’œuvre et rappellent à juste titre qu’il n’est pas nécessaire de contraindre le spectateur à participer physiquement pour que le choc esthétique opère et qu’il s’engage mentalement.
Au-delà de la question de la recréation, cet ouvrage collectif sonne comme un manifeste pour une vision renouvelée de notre façon de penser l’art. Loin de la science du beau définie par Baumgarten mais également en porte à faux d’une vision de l’esthétique centrée sur le seul acte créatif, il revendique une théorie de l’art qui pense ensemble acte de production et de perception. Cette vision élargie s’explique par le choix des contributeurs issus de différentes disciplines (histoire de l’art, esthétique, critique d’art, arts plastiques) et qui, bien souvent, en pratiquent plusieurs simultanément.
Cette conception s’affiche aussi dans la définition de l’œuvre qu’assument ces différents auteurs prenant pour objets d’étude tout autant les films de James Bond que les contes de l’écrivain chinois Akinari Ueda, la série grand public Breaking Bad comme les happenings confidentiels d’Allan Kaprow. A ce titre, il n’est pas surprenant que l’ouvrage s’ouvre par un ensemble de textes rassemblés sous l’appellation Récréation ludique. Que ce soit celui du téléspectateur de la série Breaking Bad cherchant des indices dans les multiples scènes ou celui des réalisateurs de James Bond s’amusant à décliner le personnage selon différents registres, c’est le plaisir pris à l’œuvre qui importe.
Et parce que la recréation se fait récréation il n’est pas non plus étonnant que l’ouvrage se termine par une série d’articles consacrés aux écrans (que ce soit celui du smartphone ou celui du cinéma). Simulacre trompeur dans le récit de la caverne de Platon, apparence fidèle dans le mythe de la fille du potier de Corinthe, l’écran est un dispositif qui associe illusion et vérité. Projetant des images qui se donnent à voir comme n’en étant pas et brouillant de ce fait la distinction entre réalité et représentation, l’écran est l’objet privilégié d’une possible recréation pour celui qui produit ces contenus comme pour celui qui les interprète.
Faisant suite à un colloque qui s’est tenu à l’INHA en 2016, ce livre n’est pas un ouvrage facile d’accès mais son thème centré sur les pratiques contemporaines comme son positionnement philosophique mérite nos efforts.