Peu d’édifices ont résolu avec plus de maestria le défi de la lumière intérieure que l’église Saint-Pierre de Firminy, la « petite dernière » de Le Corbusier, dont le projet était conçu à la mort de l’architecte mais dont la réalisation prit ensuite de longues années, au point que l’église achevée est un bâtiment du XXIe siècle. Avec son puits de lumière, sa fascinante « carte du ciel », les variations d’intensité et de couleur selon les saisons et les heures du jour, Saint-Pierre de Firminy retrouve, entre longues recherches et fulgurance de l’instinct, le meilleur des solutions constructives de l’Antiquité chrétienne et du Moyen Âge.
Rien n’était plus logique que de présenter dans les locaux de l’église une exposition estivale de grand intérêt, qui honore une nouvelle fois le site patrimonial de Firminy, autour d’un duo d’architectes éclairés et éclaireurs : aux côtés du maître des lieux, la si libre et si talentueuse Charlotte Perriand – tôt associée au cabinet Le Corbusier & Jeanneret pour l’architecture d’intérieur. Pour l’un comme pour l’autre, la question de la lumière s’est posée avec acuité dès leurs premières réalisations, et tout au long de leur féconde carrière. Le Corbusier n’a que 19 ans lorsqu’il prend en charge la Villa Schwob à La-Chaux-de-Fonds ; le lampadaire qu’il crée à cette occasion est directement inspiré des éclairages de rue. Ce trait lui est d’emblée commun avec Perriand : le goût pour les objets d’usine, dont la sobriété et l’efficacité valent bien mieux à leurs yeux que les joliesses mièvres et gratuites du baroque d’appartement. Ils n’hésitent pas à utiliser en applique un néon brut, à recourir à des phares de voiture pour éclairer un intérieur, à mettre en batterie des projecteurs identiques à ceux des studios de cinéma…
L’une des lampes mythiques de Charlotte Perriand, créée pour son propre logis, n’était composée que d’une poterne faite de deux tubes de métal à angle droit, supportant une ampoule sans abat-jour. Mais quelle facilité à varier la lumière grâce à la mobilité de l’ensemble, et quelle invitation à l’inventivité que la nudité des supports ! Sobriété et fonctionnalité, les deux piliers de l’esprit design, jouent ici à plein. Perriand poursuivit obstinément ce type de recherches, créant des appliques à volet pivotant permettant de régler la luminosité qui rencontrent encore, en réédition, un très large succès.
Le Corbusier, après-guerre, eut à penser des « Unités d’habitation » ou des bâtiments publics dont on pourrait croire qu’ils exigeaient d’autres choix. Mais l’un des grands intérêts de l’exposition de Firminy est de montrer les circulations formelles entre projets : la lampe à double cône créée pour les appartements de Marseille est reprise, avec de légères variantes, au Parlement de Chandigarh. Néanmoins, peut-être par le contact direct avec la nature permis par les séjours au « Cabanon » de Roquebrune-Cap-Martin, le dessin des objets s’adouçit, la courbe a tendance à l’emporter sur les angles durs des débuts. La volute aux allures de coquille d’escargot se retrouve aussi bien en applique (à l’UH de Firminy) qu’en éclairage d’extérieur monumental. Anguleuses ou arrondies, en béton ou en acier, les lampes de Perriand et Le Corbusier partagent le même souci de beauté par la simplicité. Les voir rassemblées et documentées avec tant de soin est l’occasion d’ouvrir un chapitre peu connu mais fascinant de l’histoire des arts au XXe siècle.
La Luce – église Saint-Pierre de Firminy – jusqu’au 3 novembre.
Image de titre : Borne béton, Le Corbusier- Charly Jurine © F.L.C / ADAGP ; 2 : Pivotante à poser, Ch. Perriand – réédition © NEMO ; 3 : Projecteur 365, Le Corbusier – Charly Jurine © F.L.C / ADAGP.