Personne ne doute que Picasso soit un méditerranéen dans l’âme : les couleurs et les motifs de son œuvre sont une réponse à l’appel du Sud, et la biographie très médiatisée du peintre ne laisse pas ignorer son goût pour les rivages ensoleillés, d’autant que le maître ne détestait pas d’être photographié, solide et presque nu, entre l’atelier et la plage. Il serait toutefois dommage de s’en tenir là, car le lien est plus profond, plus complexe. C’est pourquoi le Musée Picasso de Paris, installé dans le bel hôtel Salé du Marais et présidé par Laurent Le Bon, a pris l’initiative d’un cycle international ambitieux qui, sous le titre « Picasso-Méditerranée », rassemble une cinquantaine de manifestations sur deux années, entre 2017 et 2019 (1917 étant la date du premier voyage de Picasso en Italie). L’exposition parisienne de l’été, Picasso, obstinément méditerranéen, veut nouer tous les fils de cette grande enquête.
La première Méditerranée du jeune Pablo, c’est l’Espagne. Il nait en 1881 à Malaga, avant de passer plusieurs années, à partir de ses quinze ans, dans l’effervescence de Barcelone. Des lumières, des formes, des saveurs s’inscrivent pour toujours dans la mémoire sensorielle du garçon. Peut-être l’une des plus obsédantes est-elle le thème de la corrida, auquel il est souvent revenu. Dès 1900, le jeune artiste prend le chemin de Paris, capitale indiscutée de la modernité. Sa peinture, toutefois, ne cesse de palpiter des formes vives du Midi. Apollinaire, en des termes presque divinatoires, avait senti dès 1905 que Picasso était « latin moralement, arabe rythmiquement ».
Il faut cependant attendre les lendemains de la Seconde guerre mondiale pour que la Côte d’Azur devienne pour le peintre davantage qu’un lieu de villégiature, une résidence quasi permanente, à l’image de son aîné et rival Henri Matisse, niçois depuis les années 1915. En 1948, Picasso s’installe à Vallauris, bourg traditionnellement voué à la fabrication de céramiques. Ce médium l’inspire puissamment, à mi-chemin entre les pièces archéologiques de la Grèce pré-classique et les productions vernaculaires des Temps modernes. À partir de 1955, il est à « La Californie », une villa des hauteurs de Cannes où lui rend visite en voisin Jean Cocteau, hôte de Francine Weisweiller à Saint-Jean-Cap-Ferrat. La baie de Cannes, peinte pendant ce séjour, contredit l’image d’un Picasso systématiquement déconstructeur ; on y découvre au contraire la volonté de célébrer la séduction d’un paysage aimé. Ensuite, ce sera Mougins, jusqu’à sa mort en 1973.
Le Musée Picasso a confié à l’artiste Jean-Christophe Norman la mission de marquer l’exposition du sceau du contemporain. Au fil d’une performance en plusieurs actes, Norman a littéralement inscrit la vie de Picasso dans la terre des villes-symboles de la Méditerranée. Rien n’était plus légitime, tant le peintre le plus fameux du XXe siècle a su exprimer visuellement la quintessence de la mer antique. Prenons sa Flûte de Pan, datée de 1923. La puissante architecture du tableau met en valeur la palette très sobre, ramenée à l’essentiel : du bleu, bien sûr, pour le ciel et pour la mer, de l’ocre, et cette couleur chair qu’impose la nudité des corps. Des corps nus dans la lumière, c’est bien autour de ce mystère glorieux que tourne l’art méditerranéen depuis les origines. Picasso en fut à tel point le maître que le grand poète Rafael Alberti pouvait écrire, s’adressant à lui : « la mer par toi créée ».
Picasso, obstinément méditerranéen (du 4 juin au 6 octobre 2019)
Musée Picasso Paris
5 Rue de Thorigny / Paris 3e arr.
www.museepicassoparis.fr/