Décrire notre condition, la pratique de Claude Cattelain

Décrire notre condition, la pratique de Claude Cattelain
Claude Cattelain, "Radoub", vidéo, 1 h 03 min, 2016.
Personnalités  -   Artistes

De janvier 2009 à mars 2010, durant soixante-cinq semaines, Claude Cattelain suit un protocole contraignant qu’il s’est lui-même fixé : produire une vidéo par semaine. Sur ces plans fixes de quelques minutes chacun, on le voit successivement porter une bassine d’eau en train de se remplir ou encore se tenir assis sur une chaise en l’inclinant graduellement. La bassine devenue trop lourde lui échappe des mains tandis que la chaise bascule en arrière. Chaque film explore un geste simple souvent absurde ; le corps de l’artiste, éclaboussé ou tombé au sol, en témoigne. La plupart des actions contiennent en elles-mêmes leur propre fin comme le souligne celle qui clôture la série : la caméra filmant sa destruction dans le feu à bois de l’atelier de l’artiste. Cette série de vidéos, qui a lancé la carrière de l’artiste, contient le principe fondateur du reste de son œuvre : agir en créant ses propres impossibilités.

Claude Cattelain, « Vidéo hebdo 15 », vidéo, 3 min 26 sec, 2009.

 

Claude Cattelain qui a cessé ses études à dix-huit ans ne connaît rien de l’art contemporain lorsqu’il commence sa pratique plastique. Amoureux de la peinture classique de Titien et Caravage comme de la peinture moderne de Cézanne et Picasso, mais trop respectueux de leur savoir-faire pour tenter de se mesurer à eux, il débute en démontant les toiles qu’il achète pour ne garder que les châssis et les remonter différemment. Ses sculptures s’effondrent inévitablement et c’est dans le but de capturer leur image avant leur désintégration que Claude Cattelain achète un appareil photo. Cet appareil faisant également caméra, l’artiste commence à filmer les structures en train de chuter et, du même coup, son propre corps tentant de les retenir. Si l’artiste tient à garder une trace de l’existence de ces formes, il souhaite surtout retarder leur disparition le plus longtemps possible.

Claude Cattelain, « Armature variable », performance, Palais de Tokyo, Paris, 2012.

 

Ces premières performances naissent ainsi alors même que le mot lui est étranger mais Claude Cattelain n’a eu de cesse, depuis, d’explorer cette forme. Ainsi, dans Armature variable (2012), il dresse à la verticale des rebuts récupérés dans un chantier non loin du lieu de la performance. Durant 35 heures, la structure instable se transforme au gré des effondrements et reconstructions. Dans Colonne empirique en ligne (2013), l’artiste avance sur une ligne faite de cubes en béton cellulaire d’une vingtaine de centimètres chacun, se servant du bloc franchi pour s’élever graduellement sans poser les pieds au sol. En équilibre sur une colonne de plus en plus haute et instable, il poursuit sa progression jusqu’à l’inévitable chute, laissant derrière lui une ligne de poudre blanche due à l’effritement du béton. Si pour ces performances l’artiste s’exécute directement devant un public, il expose quelques fois les traces d’actions réalisées seul. Ainsi, projetée à échelle 1, la vidéo From sand to dust (2011) montre l’artiste marchant sur place sur la plage, creusant le sable de son geste répétitif durant un long plan-séquence de 4 heures C’est le même geste qui est présenté dans la série des Dessins répétitifs (depuis 2014) pour lesquels l’artiste dispose sur des feuilles de papier d’un mètre quarante par un mètre des tas de charbon dans lesquels il marche durant une journée pour chaque dessin. Que ce soit à travers des vidéos qui témoignent de ces actions, de dessins qui en portent la trace ou de performances en direct, Claude Cattelain agit par la répétition de gestes simples où son corps se confronte à la matière, où les deux s’abîment mutuellement pour créer la preuve de leur effort.

Claude Cattelain, « From sand to dust », vidéo, 3 h 55 min, 2011.

Depuis quelques années, l’artiste réalise également des sculptures et installations plus pérennes à l’image des Compositions empiriques in situ (depuis 2016) qui sont des compositions murales réalisées à partir de planches choisies pour leurs formes, leurs couleurs et leurs matières. Nettoyés mais non recoupés, ces éléments tiennent dans l’espace grâce à des barres de métal. L’artiste en ajoute jusqu’à ce que l’installation soit à la limite de l’effondrement. De même, les Compositions empiriques avec serre-joint (depuis 2017) sont des assemblages de planches superposées et serrées ensemble avec l’aide de serre-joints. Après les avoir assemblées au sol puis redressées, l’artiste décide si les compositions lui conviennent, dans le cas contraire les compositions sont rabattues au sol démontées et remontées autrement. La dimension esthétique est particulièrement présente dans ce type de travaux où le corps de l’artiste, s’il est nécessaire à la construction des objets, ne fait pas partie de leur présentation finale. On retrouve cette même attention portée à la composition dans le très beau film Radoub (2016) où la caméra, située en hauteur, cadre un plan d’eau vert dans une cale sèche désaffectée. L’artiste, embarqué sur un radeau précaire construit à l’aide de quelques jerricanes vides et d’une palette de bois, va chercher des éléments qui flottent éparpillés à la surface du bassin de réparation. Il n’est pas toujours à l’écran mais les mouvements d’eau créés par ses déplacements sont en permanence perceptibles ; ils font varier les tonalités de l’image. Au sein du plan fixe, les bidons et les caissons assemblés par l’artiste créent un agencement de ronds et carrés rouge, bleu, gris et noir. La surface de l’eau se confond avec la surface plane d’une toile à la composition mouvante. Comme toujours, l’action se répète, les éléments artificiellement rassemblés s’éparpillent progressivement et l’artiste, infatigable, les ramène au centre de l’image.

Claude Cattelain, « Dessin répétitif (7 400 pas) », poussière de charbon sur papier, 144x103x4cm, 2018.

 

Redresser ce qui tombe, tenir ensemble ce qui se sépare, jouer avec les limites physiques des matériaux et du corps, la pratique de Claude Cattelain étant une métaphore de la vie, il est essentiel qu’elle soit belle.