À Montpellier cet été, il y a ce qui fait la une des gazettes (https://www.art-critique.com/2019/07/moco-nouveau-lieu-art-montpellier/), et il y a ce qui fait moins de bruit, parce que la grande peinture est toujours porteuse de silence : l’ambitieuse rétrospective de Vincent Bioulès présentée par le Musée Fabre. Porter un regard synthétique sur l’oeuvre de cet enfant du pays, qui a six décennies de création à son actif, était à la fois une excellente idée et un devoir de justice, tant Bioulès, quand il est à son meilleur, est vraiment grand.
Il n’était pas écrit que ce Méridional deviendrait l’un des grands pinceaux de la figuration contemporaine. Séduit pendant ses études par les courants nouveaux d’outre-Atlantique, le jeune Bioulès participe aux avant-gardes abstraites, avec un réel talent que l’exposition montpelliéraine donne largement à apprécier. Même si son compagnonnage est bref, il est au début des années 1970 parmi les fondateurs de Supports/Surfaces. Mais bien vite, l’appel du motif se fait sentir, chez un Méditerranéen profondément épris de sa terre, de ses contrastes violents et de ses lumières vives, de sa mythologie aussi. Commence alors un itinéraire singulier, en marge des courants et des écoles, fondé sur le plaisir de peindre et une quête de perfection formelle très ancrée dans l’histoire de l’art français.
On n’est pas obligé de suivre les concepteurs de l’exposition lorsqu’ils considèrent comme également intéressants le travail de Bioulès sur le modèle et son travail sur le motif. Si certains portraits, dans leur frontalité, ont du mystère, d’autres retiennent moins l’attention (ceux notamment qui sont présentés en complément à l’Hôtel Sabatier d’Espeyrans), tandis que les nus ne sont pas toujours enthousiasmants. En revanche, comme peintre de l’espace, extérieur ou intérieur, Bioulès est de toute première force. Dès le milieu des années 1970, il inaugure sa fascinante série des « Places d’Aix ». De grandes compositions, que l’on dirait si l’oxymore n’était trop raide d’un Chirico chaleureux, brillent par leur composition aussi savante que séduisante et révèlent une sensibilité à l’esprit du baroque poussée jusqu’au goût de la théâtralité – quoi d’étonnant à Aix, ville du Festival ?
Ami de Jean Hugo (à qui la Villa Noailles d’Hyères consacre en ce moment une exposition sur laquelle nous reviendrons), Bioulès se lance parallèlement dans la peinture d’intérieur. Quand il sait se débarrasser de tout souvenir du « genre Matisse », il y réussit magnifiquement. Rien n’égale toutefois ses payasages à proprement parler. Là, l’artiste est maestro, quel que soit le format choisi. La « joie fondatrice » du motif de plein air se ressent à la contemplation des toiles, aquarelles et dessins du Musée Fabre. Bioulès est en effet un excellent dessinateur, qui s’imprègne ainsi de la structure d’un relief ou d’un littoral. Dans ses morceaux les plus aboutis, la construction impeccable rejoint la richesse de la palette pour faire surgir à foison les sensations. Ses bleus, dans les nombreuses représentations de ports, de plages ou d’îles, sont d’une précision et d’une justesse saisissantes. Et l’expérience acquise ne tourne jamais au procédé : dans une toile récente comme « L’étang de l’or », Bioulès offre une expérience chromatique d’une exceptionnelle qualité. Aussi bien pour de tels sommets que pour la restitution particulièrement soignée et documentée d’un parcours du plus haut intérêt, l’exposition estivale montpelliéraine mérite toute l’attention des amateurs.
Vincent Bioulès : chemins de traverse – Musée Fabre, Montpellier – jusqu’au 6 octobre.