Le moment néo-classique, dont Goethe est l’une des figures les plus marquantes, constitue un temps privilégié pour les arts du dessin. En même temps, pour limitée que soit sa durée, ce moment est complexe et multiforme. De ce double constat la collection graphique de Weimar donne une brillante et séduisante illustration. Un ample choix de feuilles est présenté en ce moment au Petit Palais, dans une très élégante scénographie ; il vaut la peine de se pencher avec attention sur ces images subtiles, qui ouvrent une belle fenêtre sur l’art allemand entre 1780 et 1850.
À l’orée du parcours, les amateurs de Füssli ne seront pas déçus. Ceux que ces formidables charpentes humaines laissent plus perplexes pourront au moins vérifier quel bon portraitiste il savait être. Très vite Goethe lui-même entre en scène – pas seulement comme inspirateur des achats princiers dont nous admirons le résultat, mais comme dessinateur, à l’occasion de son capital voyage en Italie. Son guide dans les arts plastiques lui fait cortège en la personne de Tieschbein ; ses études aquarellées pour « La vision du berger amoureux », plus que curieuses, méritent l’examen. Reste que tout fait pâle figure comparé à Friedrich, à qui est consacré un espace entier, fourni de très belles oeuvres. Un hibou mystérieux perche sur une tombe. De hautes silhouettes d’arbres se dessinent sur le ciel. Une étrange procession s’avance, venue de nulle part, vaguement inquiétante…. C’est un monde éminemment personnel, hanté, qui offre sa minutie à l’inspection du regard. La minutie, au-delà même de Friedrich, est un mot d’ordre des dessinateurs montrés au Petit Palais. Qu’ils se livrent au dessin d’architecture ou à la saisie naturaliste des particularités végétales, ils brillent par la rigueur, l’exactitude, le sens du détail – toutes ces caractéristiques de la passion européenne pour la description de la nature à laquelle Romain Bertrand vient de consacrer un bel essai.
Après l’exploration des paysages du Nord, l’Italie redevient la source d’inspiration dominante des artistes germaniques. Un « Cloître du Latran » de Reinhold, avec son moinillon obligé, signe la double fascination pour «le pays où fleurit l’oranger» et pour un catholicisme érigé en grand autre de la nation fondée sur la rupture luthérienne. Thorny, en brossant un paysage des Monts Volsques, retrouve la palette si particulière des dessins italiens de Dürer. Tous préparent la voie à ces Allemands de Rome, pieux et excentriques, qui reçurent le nom de Nazaréens. Leur courant, que l’on ne regarde plus avec la condescendance réservée aux « anti-Modernes », est bien représenté dans l’exposition. À vrai dire, plusieurs feuilles sentent l’application plus que l’inspiration, le bon élève zélé et un peu borné. Mais on relève aussi de très bonnes choses : un portrait de femme de Schnorr von Carolsfeld, un jeune homme de Rethel, et surtout un portrait de petit garçon au pastel, dû à Maria Ellenrieder, l’une des toutes meilleures pièces de la série.
Par contraste, les études de von Schwind pour les peintures historisantes de la Wartburg relèvent plutôt du «style bon point»… On y verra un document sur le réinvestissement de la mémoire germanique au mitan du XIXe siècle plutôt qu’un cycle inoubliable. Plus sobres donc plus élégants, les projets de Schinkel pour la Residenz de Weimar portent la marque bien reconnaissable du grand architecte et décorateur. Et l’exposition, parfaitement pensée et organisée, s’achève sur un clin d’oeil : une petite pochade de Schroedter où la peinture moderne, joviale, tourne le dos au genre noble et austère illustré par les Nazaréens. Autant dire qu’en glissant vers l’âge bourgeois, l’art allemand s’éloignait de cet intérêt passionné pour la mémoire des maîtres anciens qui avait formé la main des grands dessinateurs entre néo-classicisme et romantisme.
L’Allemagne romantique : dessins des musées de Weimar – Petit Palais – jusqu’au 1er septembre.
Illustration : 1) Johann Christoph Erhard, Le Peintre Johann Adam Klein devant son chevalet, 1818, Plume et encre brune et noire, lavis brun et aquarelle sur crayon graphite sur papier, © Klassik Stiftung Weimar ; 2) Caspar David Friedrich, Paysage de montagne avec croix au milieu des sapins, vers 1804-1805, Plume et encre, lavis brun sur crayon graphite sur vélin, © Klassik Stiftung Weimar ; 3) Maria Ellenrieder, Portrait en buste d’un jeune garçon,sans date, Craie noire et blanche recouverte de pastel sur papier, © Klassik Stiftung Weimar.