Dans le cadre du festival PHoto Espana, le Centre culturel de la ville de Madrid, propose jusqu’au 1er juillet, une exposition de l’artiste britannique Clare Strand.
Connue pour ses photographies en noir et blanc de personnes adoptant des postures irréalistes (Conjurations, 2007-2009) ou posant devant des décors étranges (Gone Astray Portraits, 2002-2003), l’artiste présente ici un ensemble d’œuvres contenant des photographies, des peintures, des projections et des installations. Intitulée The Discrete Channel with Noise (Communication intime avec interférence), cette exposition s’inscrit dans la continuité des recherches de Clare Strand qui depuis plusieurs années s’intéresse au statut des images et plus précisément aux origines, usages et limites de la photographie.
Pour cette série réalisée en 2017, l’artiste a souhaité se pencher sur ce médium en tant qu’objet de transmission d’informations mais surtout en tant qu’objet de diffusion d’erreurs en mettant en place un protocole de peinture à partir de photographies qui rend visible la perte de données. En résidence au CPIF (Centre photographique d’Île de France), elle a demandé à son mari resté en Angleterre de choisir une dizaine d’images parmi trente-cinq photographies en noir et blanc collectées depuis une vingtaine d’années. Elle l’a ensuite invité à leur appliquer un quadrillage réalisé sur une feuille de plastique transparent puis à décerner à chaque carreau un numéro correspondant à la tonalité de l’image sous-jacente (de 1 pour le blanc à 10 pour le noir). Son compagnon devait par la suite l’appeler pour lui communiquer par téléphone les numéros attribués ligne par ligne. De son côté, Clare Strand, qui avait tracé une grille identique mais à une plus grande échelle sur une feuille de papier accrochée au mur de son studio, s’appliquait à peindre chaque case en respectant la tonalité de gris communiquée par son conjoint. L’image apparaissait ainsi petit à petit et, selon la complexité de la composition de l’image originelle, son contenu devenait plus ou moins lisible.
L’exposition présente ainsi les photographies recouvertes des grilles transparentes chiffrées de 31×36 cm, les peintures à l’acrylique sur papier de 144×183 cm, quelques projections de diagrammes synthétisant les différents éléments d’une communication, les pots de peintures ayant contenu les dix teintes du panel de couleurs choisi ainsi que la blouse de peintre également éclaboussée de pigments gris.
Le titre de cette série, choisi en référence à la théorie de l’information du mathématicien Claude E. Shannon ainsi qu’à la publication de George H. Eckhardt sur la possibilité de fournir une représentation juste d’une image par télégraphe, montre l’intention de l’artiste de réfléchir au potentiel de transmission d’une photographie codée d’un expéditeur vers un destinataire. Le texte de salle qui présente le projet au Centre culturel de la ville de Madrid insiste quant à lui sur « les erreurs et faux pas » qui se produisent nécessairement en raison de « l’utilisation d’un seul canal de communication » et inscrit la démarche de l’artiste dans un discours plus global sur « les effets toujours croissants de la désinformation dans notre quotidien ».
S’il est au contraire probable qu’aucune erreur ne se soit glissée au sein de ce procédé très simple (énoncer à voix haute des chiffres ligne par ligne/ noter des chiffres entendus ligne par ligne) et si ce lien à notre société de communication semble artificiel tant l’usage de la peinture en est précisément absent, cette série reste néanmoins intéressante dans sa façon de lier ces disciplines longtemps opposées que sont la peinture et la photographie et de construire des rapports entre des esthétiques de différentes périodes de l’histoire.
Ainsi, l’artiste utilise cette très ancienne technique de la mise au carreau qui était à l’origine un procédé de report d’un dessin sur un autre support permettant de reproduire à la même échelle ou à une échelle différente un modèle original. Cette technique était utilisée par des copistes (pour reproduire des œuvres) ou par des artistes (pour mettre à l’échelle un croquis préparatoire) mais elle servait toujours à reporter des formes préalablement peintes ou dessinées. Clare Strand adapte cette technique à la photographie en utilisant la grille pour adapter le cliché originel en peinture. En concentrant son attention sur la fidélité aux teintes plutôt qu’au respect des proportions, elle produit des images qui semblent pixélisées créant ainsi une curieuse continuité entre une technique très ancienne et une esthétique contemporaine. De plus, si ces pièces évoquent l’imagerie numérique, leur réalisation en acrylique renvoie à l’histoire de la peinture et notamment, en raison de l’absence de perspective, à la tradition moderniste. Ces œuvres qui affichent leur planéité semblent viser, quand elles ne l’atteignent pas, l’abstraction. L’absence de figuration dans les peintures découle ainsi logiquement du travail à partir des photographies tout comme dans l’histoire de l’art le refus d’une figuration fidèle est apparu en peinture après l’invention de la photographie devenu le médium de la représentation par excellence.
Si, à l’inverse de ce qu’annonce le texte de salle, une compréhension du processus n’est pas « essentielle pour apprécier le travail » et constitue peut-être même une « interférence » entre le spectateur et l’œuvre en défaveur de cette dernière, cette exposition mérite d’être vue pour les liens qu’elle tisse entre les médiums, les techniques et les esthétiques de différentes époques.