Le Petit Palais est un des lieux de Paris où l’on est le plus sûr de trouver des expositions denses et mûrement pensées, à l’image du Baroque des Lumières de 2017. On prend donc en confiance le chemin de Paris romantique – et au bout du compte avec raison. Il faut néanmoins dépasser une irritation initiale : l’exposition a été structurée selon un plan topographique, ce qui est loin d’être une mauvaise idée. Mais, esclaves de la conception invraisemblablement archaïque d’une histoire fondée sur les dynasties, les concepteurs ont estimé nécessaire de commencer par une section « Les Tuileries » vouée aux Orléans, comme si l’évocation des « gens de pouvoir » avait encore la moindre légitimité dans la restitution d’un moment historique. On perd ainsi beaucoup de place et de temps à vérifier que les Orléans, non contents d’avoir cyniquement vidé de son sens la révolution de 1830, avaient un goût détestable, ce que d’ailleurs personne n’ignore. Ce ne sont pourtant pas les potentats de branchioles variées qui importent ici, mais les Parisiens du premier XIXe siècle, et eux seuls. Seul un recoin dédié à la figure de Marie d’Orléans se justifie vraiment, car la princesse-artiste est l’une des grandes introductrices du goût néo-médiéval.
Les Parisiens, donc, sont abordés sous l’angle pertinent de la culture matérielle. La deuxième section est un Palais-Royal en miniature, dont les vitrines sont les devantures des boutiques à la mode vers 1830. C’est ici que l’on bénit le Palais Galliera d’avoir de si riches réserves, propres à évoquer le singulier costume des élégantes et des dandys au temps de la bataille d’Hernani ; la vitrine des gilets masculins est particulièrement spectaculaire ! Plus loin, la salle des Grands Boulevards est l’occasion d’évoquer le monde musical et théâtral, riche de ses figures mythiques : Pauline Viardot, la Malibran, Rachel… Les compositeurs se pressent en portraits et en bustes, et Rossini les regarde avec un sourire en coin : après Guillaume Tell, il a dit en pleine gloire adieu à la scène et mène à Paris une vie douce et oisive. Il faudrait rappeler toutefois que les livres, les partitions et autres documents, même autographes, ont une force visuelle bien limitée, et ne devraient être exposés qu’avec parcimonie.
Le coeur de l’exposition est aussi son meilleur. Une grande salle évoque le Salon, rendez-vous envié des artistes de toutes obédiences, et en reconstitue l’atmosphère : sur fond rouge, les toiles sont accrochées serrées, comme elles l’étaient chaque année au Salon carré du Louvre. Étienne Bouhot rappelle d’emblée ce cadre, par une Entrée du Louvre très dépaysante. Au centre de la salle, un choix de sculptures, dominé par le délicieux Henri IV enfant de Bosio, un peu antérieur au Louis XIII adolescent de Rude. Aux cimaises, l’excellent, l’intéressant et le nul voisinent, aujourd’hui comme hier. La dernière catégorie est illustrée par le pompiérisme d’un Moensch, présentant en 1822 son grotesque Childéric et Basine. Mais on se contente de sourire, mis de belle humeur par la qualité des portraits (l’Isaure Chassériau d’Amaury-Duval, presque inquiétante à force de frontalité, le double portrait de Dubufe ou le bon Cathelineau de Girodet) et par l’intérêt supérieur des « spiritualistes ». Plusieurs icônes de ce courant sont présentes au Petit Palais : le Monique et Augustin d’Ary Scheffer (Salon de 1845), la Sainte Thérèse de Gérard, peinte pour l’Infirmerie Marie-Thérèse de Madame de Chateaubriand, ou la Résurrection des morts d’Émile Signol, venue d’Angers, qui rappelle les « Peintres de l’âme » de l’École lyonnaise plus que les Lukasbrüder invoqués par le cartel.
Si spiritualisme il y a, c’est aussi que le Paris romantique est atteint de médiévalite aiguë ! Il eût été impensable de ne pas mettre le néo-gothique à la place qui lui revient de droit. Le roman de Victor Hugo sur Notre-Dame joua un rôle majeur dans le triomphe de ce goût archaïsant. Son succès à peine imaginable se traduisit en pendules, en nécessaires de table… Des « cabinets gothiques » fleurirent un peu partout, que l’on pouvait décorer avec des papiers peints ad hoc. L’exposition montre une rare aquarelle de Garneray sur le plus célèbre de ces cabinets, celui de la comtesse d’Osmond. Une toile donne aussi à voir l’invraisemblable bric-à-brac d’Alexandre du Sommerard, qui semble une boutique d’antiquaire en délire, mais n’en reste pas moins le noyau du futur Musée de Cluny… On regrettera qu’une autre forme de religiosité soit presque absente de ce beau panorama : celle des grandes utopies sociales, à commencer par le saint-simonisme. Un joli portrait de Félicien David en costume saint-simonien n’est pas suffisant pour souligner l’intensité des aspirations palingénésiques.
On attendait l’autre coeur du Paris romantique, il arrive en salle VII : c’est la Nouvelle Athènes, que personne ne songeait alors à appeler « SoPi ». Les portraits de George Sand, Chopin ou Liszt immortalisé par Lehmann soulignent la présence des artistes dans ce quartier neuf. Ary Scheffer s’installe rue Chaptal en 1830, et une vue de son atelier rappelle l’importance de ce lieu, devenu le Musée de la Vie romantique. Une exposition-dossier poursuit d’ailleurs dans le IXe arrondissement la grande manifestation des bords de Seine. Elle est modeste mais sympathique, centrée sur les salons littéraires : l’Arsenal de Charles Nodier, l’Abbaye-aux-Bois de Madame Récamier… Salons littéraires plus que politiques, en un temps de déception démocratique : la célèbre affaire des poires dit combien la monarchie bourgeoise pratiquait autant que les autres censure et répression. Les visiteurs de 2019 ne manqueront pas de trouver aux meilleures charges de Daumier une étonnante actualité, du « C’était bien la peine de nous faire tuer » des victimes de 1830 au Ventre législatif de 1834, montrant dans toute leur vulgarité les analphabètes arrogants de la Chambre. Sur toutes ces images noires vole toutefois le Génie de la Liberté de Dumont (le plâtre du Musée de Semur), qui a la légèreté et la séduction d’un rêve émancipateur : celui de la Révolution.
Paris romantique, 1815-1848, Petit Palais ; Les salons littéraires, Musée de la Vie romantique ; l’une et l’autre jusqu’au 15 septembre 2019.