Tout l’art de Chicago à la Halle Saint-Pierre

Tout l’art de Chicago à la Halle Saint-Pierre
Henry Darger "Untitled", c. 1940-1950. Graphite, carbon, watercolor and pencil on paper, 19 x 24 in. (48.26 x 60.96 cm). Collection of Robert A. Roth.
À voir

A la Halle Saint-Pierre, dans le 18e arrondissement, on peut profiter jusqu’au 2 août, d’une exposition singulière conçue par le musée de Chicago et intitulée, Chicago, foyer d’art brut. On y part à la rencontre de dix artistes contemporains, qui ont marqué l’art américain.

Deux expositions étonnantes ont actuellement lieu à la Halle Saint-Pierre, à deux pas du Sacré-Cœur. A l’étage, la nouvelle édition de Hey !, le cabinet de curiosités qui ne laisse personne indifférent. Au rez-de-chaussée, Chicago, foyer d’art brut. Un art différent, loin de ceux de nos contrées européennes, plus incisif, plus âpre, où chaque artiste semble avoir laissé un bout de son âme. Ils sont dix à être présentés ici, dix à montrer leurs tourmentes, leurs fantasmes, leurs désirs, à travers des œuvres percutantes et originales qui risquent de désorienter le visiteur. C’est que cela fonctionne, car cela heurte en plein cœur et remue l’âme. Car Chicago, à partir des années 1940, a fait preuve d’indépendance artistique, en opposition à New York. A Chicago, les artistes se sont laissés envelopper par l’expressionnisme allemand, le courant surréaliste, l’art primitif et l’art brut, les ont assimilés et les ont restitués à leur manière. Cette exposition, mise en place par l’INTUIT, le musée de Chicago dédié à cet art, rend enfin honneur à ces artistes et leur permet de dépasser les frontières.

Des artistes reconnus. Parmi eux, certains ont bénéficié tout de même d’une reconnaissance internationale, ont fait la joie de galeries et de collectionneurs. C’est le cas de Henry Darger. Depuis sa mort, en 1973, c’est toute une communauté d’aficionados qui s’est constituée, faisant de lui le fer de lance de l’art brut de Chicago. Mais son œuvre emblématique est un livre, In the Realms of the Unreal, représente l’histoire de sept sœurs qui ont fait face à tous les dangers humains imaginables, afin de libérer des enfants de l’esclavage. Une épopée exigeante de 15 145 pages et 300 collages, écrite pendant la Première Guerre mondiale et qui a inspiré de nombreux autres artistes, à travers des films, des pièces de théâtre ou des poèmes.

Henry Darger « Untitled », n.d. Carbon transfer, watercolor and pencil on pierced paper, 18 x 70 in. (45.72 x 177.8 cm). Collection of Robert A. Roth.

 

De son côté, celui qui se faisait appeler Mr. Imagination, décédé en 2012, a été exposé à la Biennale de Venise, dans des musées internationaux et a reçu en 1997, le titre d’Artist of the Year du Folk Art Society of America. Mais cette reconnaissance internationale a mis du temps à se concrétiser. Car malgré les messages de paix qu’il laissait dans ses œuvres (notamment des sculptures prenant l’apparence d’objets antiques et royaux), il a fallu plusieurs années pour que l’on s’intéresse aux grottes qu’il construisait, avant d’avoir droit à sa première exposition en solo en 1983.

Mr. Imagination/Gregory Warmack « Chicago 1984 », 1984. Foundry sandstone and paint, 5¾ x 7½ in. (14.61 x 19.05 cm). Collection of Robert Alter and Sherry Siegel. Photo © John Faier.

 

De son côté, Joseph Elmer Yoakum, artiste prolifique (2 000 peintures et dessins jusqu’à sa mort en 1972) est désormais exposé dans les collections permanentes de nombreux musées américains. Des paysages (en aquarelle, stylo et crayon), souvent, mais aussi des portraits d’Afro-Américains célèbres et même des sculptures en terre.

Joseph Yoakum « Mt. Mourner in Maritine Alps near Diane France », January 2, 1968. Colored pencil and ink on paper, 11½ x 19 in. (30.16 x 19 cm). Collection of Intuit: The Center for Intuitive and Outsider Art, gift of Martha Griffin, 2014.5.1. Photo © John Faier.

 

Quant à Drossos Skyllas, décédé en 1973, ses œuvres, principalement des peintures de nus féminins ou de paysages fantasmés et idéalisés, font désormais partie de nombreuses collections permanentes à travers tous les Etats-Unis. L’artiste, qui créait lui-même ses pinceaux, fut surnommé, rien que cela, « le Vermeer de Chicago ».

Drossos Skyllas « Untitled (Tree of Life with cow and calf) », c. 1950. Oil on canvas, 14 x 18 in. (35.56 x 45.72 cm). Collection of Jan Petry and Angie Mills, promised gift to Intuit: The Center for Intuitive and Outsider Art. Photo © John Faier.

 

Ou encore William Dawson, disparu en 1990, qui a dû attendre la fin de sa vie pour avoir sa toute première rétrospective majeure, avec plus de 250 de ses peintures et portraits, au Chicago Public Library Cultural Central. Il y en a eu d’autres depuis…

William Dawson. « Untitled (Black cat) », 1980. Acrylic on board, 14 x 19½ in. (35.56 x 49.53 cm). Collection of Michael and Cindy Noland. Photo © John Faier.

 

Mais c’est une femme qui dame le pion à tous, Lee Godie, l’une des seules femmes artistes de l’exposition, décédée en 1994 et qui fut l’artiste la plus collectionnée à Chicago dans les années 1970 et 1980, glanant une communauté de fans impressionnante, avides de posséder ses portraits féministes ou faisant écho à l’énergie de la ville et de ses habitants, ou encore, ses œuvres photographiques. Elle continue d’être suivie, plus de 25 ans après sa mort.

Lee Godie « Untitled (Female portrait, curly red hair flanked by striped vases) », n.d. Paint and shellac on canvas, 26 x 42 in. (66.04 x 106.68 cm). Collection of Lolli Thurm.

 

Des outsiders intrigants. Ces grandes pointures de l’art de Chicago ont donné naissance à d’autres artistes, tout aussi talentueux et tout aussi imprégnés d’une envie de faire de l’art différemment.

Aldobrando Piacenza, disparu en 1976, semble être totalement à part, avec ses constructions de cabanes à oiseaux, de maquettes de cathédrale ou d’églises. L’artiste était fasciné par ces dernières, leur architecture, ainsi que les campaniles, qui servaient d’abri pour les petits volatiles. Un travail minutieux, peint à la main consciencieusement, qui lui valut une reconnaissance vers la fin de sa vie.

Aldobrando Piacenza « Untitled (Birdhouse cathedral campanile) », 1960s. Wood, metal, and paint, 32 x 18 x 16 in. (81.28 x 45.72 x 40.64 cm). Collection of Stacy and Tim Bruce. Photo © John Faier.

 

Pauline Simon, de son côté, l’autre femme représentée à l’exposition, a attendu le décès de son mari en 1961, avant de s’inscrire à des cours de peinture, elle finit par s’y adonner pleinement, avec des portraits de femmes colorés et étonnants, qu’elle déclinera jusqu’à sa mort en 1976.

Pauline Simon « Untitled (woman and child) », 1965. Acrylic on canvas, 31 ½ x 23 ½ in. Collection of Karl Wirsum and Lorri Gunn.

 

Pour le Dr. Charles Smith, toujours de ce monde, tout est affaire de qualité et de quantité, puisqu’en 2000, on comptait plus de 600 sculptures développées comme un site artistique et mettant en avant les expériences collectives et individuelles des Afro-Américains. Il en fit don à différents musées. S’il reste en dehors d’un système commercial, il continue de travailler sur un autre paysage sculptural, cette fois-ci en Louisiane.

Dr. Charles Smith « Three Children », c. 1985-1999. Concrete, paint and mixed media, 37 x 16¾ x 6 in. (93.98 x 42.55 x 15.24 cm). John Michael Kohler Arts Center, gift of Kohler Foundation, Inc.

 

Disparu en 2003, Wesley Willis, diagnostiqué schizophrène, passionné d’architecture, est repéré à l’âge de 18 ans par un collectionneur, pour ses dessins d’immeubles atypiques. Mais c’est la musique qui concentrera son attention, en produisant différents albums. On lui doit la production de 100 disques et de milliers de dessins et s’il a bénéficié de moins de notoriété que ses contemporains, justice est enfin faite à son travail créatif. On peut ainsi le découvrir en France, comme les neuf autres artistes de cette exposition, au talent brut et sans limites.

Willis
Wesley Willis. « Chicago 1986 », 1986. Ballpoint pen and felt tip pen on board, 28¼ x 39¼ in. (71.44 x 99.38 cm). Collection of Rolf and Maral Achilles. Photo © John Faier.

 

2 rue Ronsard 75018 Paris
Du lundi au vendredi de 11h à 18h, le samedi de 11h à 19h et le dimanche, de 12h à 18h.