Le dernier livre de Carole Talon-Hugon vient de paraître aux éditions PUF. Intitulé L’art sous contrôle, cet essai dresse le portrait d’un art contemporain où les contenus et intentions sociétales et politiques sont de plus en plus présents que ce soit à travers les œuvres, les discours qui les accompagnent ou les structures qui les exposent. Cet essai fait également état de la multiplication récente des cas de censure.
La thèse que défend Carole Talon-Hugon consiste en une mise en relation de ces deux phénomènes. Pour l’auteur, dès lors que l’art contemporain affiche une ambition qui n’est plus esthétique mais éthique, il engendre un nouveau rapport aux œuvres placé sous le signe de la morale et permet l’apparition de condamnations et de demandes de censure.
Comme à son habitude, Carole Talon-Hugon questionne cet état de l’art par rapport aux époques précédentes. À travers une argumentation en quatre parties, elle décrit les spécificités de la morale telle qu’elle se décline dans l’art de notre époque. Si par le passé certains artistes se sont déjà assignés des buts sociétaux, il s’agissait de transgresser la morale dominante pour revendiquer leur liberté d’expression et non de défendre les valeurs de la société de leur temps. De même, si au cours de l’histoire il y a toujours eu des spectateurs pour condamner les œuvres et chercher à empêcher leur exposition, cette censure ne s’exerçait pas de la même manière ; elle visait les contenus des œuvres et non la façon d’être de leur auteur.
Fidèle aux préoccupations qui ont fait le succès de ses livres précédents, la philosophe expose la manière dont ce paradigme éthique reconfigure les notions d’artiste, d’œuvre, de valeur esthétique et de critique d’art et affirme que l’apparition de ce critère extérieur à l’art dans le champ de l’art poursuit le mouvement de désartification engendré par les avant-gardes radicales du XXe siècle. Elle souligne également les transformations subies par la notion d’éthique. Loin de concerner l’humanité tout entière, l’éthique telle qu’elle se déploie dans l’art d’aujourd’hui est multiple. Elle est liée à des revendications sociétales d’individus réunis par des critères d’appartenance que ce soit de genre, de couleur, de sexe ou de condition sociale. Cette nouvelle éthique, qui met en exergue les différences au détriment des ressemblances, produit un phénomène de fragmentation dans lequel le discours de l’autre n’est plus audible, ce qui favorise le recours à la censure plutôt qu’à la discussion.
Carole Talon-Hugon ne se borne pas à un constat, elle remet en question ce qui semble désormais relever de l’évidence : que l’art doive poursuivre des buts sociétaux et qu’il doive être jugé selon des principes moraux. Avec le style clair qui la caractérise, elle rappelle ainsi que les revendications sociétales portées par les artistes comme les censures morales demandées par les spectateurs reposent sur un présupposé jusque-là invérifié : l’effectivité réelle des œuvres en matière sociétale et morale. Si l’auteure revient en détail sur les théories des nombreux philosophes qui ont abordé cette question à travers l’histoire elle expose surtout les particularités de notre époque où la visibilité de l’art ne peut rivaliser avec celle des autres modes d’expression qui prolifèrent à travers les écrans. Elle rappelle également que le public visé par l’art contemporain est le plus sensible aux causes défendues, qu’elles soient altermondialistes, féministes, anticolonialistes ou écologistes. Il est temps, selon Carole Talon-Hugon, de renouer avec une autonomie de l’art et une éthique universaliste.