Comme en témoignait déjà la belle exposition du Louvre L’Antiquité rêvée, il y a presque dix ans, le néo-classique est à la mode, et nul ne songe à s’en plaindre. La frénésie et la brutalité qui scellent trop de nos journées ont besoin de contrepoints où les yeux puissent trouver leur joie dans la contemplation d’oeuvres patiemment élaborées, raffinées et néanmoins puissantes. Nous visitions à Naples, il y a peu, une grande rétrospective Mapplethorpe, qui est assurément le plus néo-classique des photographes (https://www.art-critique.com/2019/03/a-naples-i-avec-mapplethorpe/) : dans la même ville, à peu de distance, le Musée archéologique national, l’un des principaux centres européens d’art et civilisation de l’Antiquité, accueille une ambitieuse exposition « Canova et l’antique ». En une confrontation entre les chefs-d’oeuvre du « Phidias des modernes » et leurs sources d’inspiration gréco-romaines, elle permet de prendre la mesure du génie propre au prince des arts italiens du début du XIXe siècle.
Canova, homme du Nord à l’échelle de l’Italie, devenu romain, est de longue date présent à Naples. Le musée où se tient l’exposition est orné d’une grande statue un peu sévère du roi Ferdinand IV de Bourbon – celui qui voulait faire de Naples une nouvelle Athènes et qui ne pouvait se passer de la collaboration du maestro de la sculpture néo-antique. Un Napolitain fut aussi parmi les premiers collectionneurs de Canova, dès 1795 ; toute la ville s’émerveilla devant le ciseau de ce « Praxitèle redivivus ». Les cités disparues de la baie de Naples et les trésors que livrait leur sol à jets continus attirèrent bien sûr l’attention du sculpteur-archéologue, qui visita le musée de Portici peu après Sade (https://www.art-critique.com/2019/03/naples-avec-sade/). L’un des points forts de l’exposition est de montrer l’intérêt très vif de Canova pour les peintures pompéiennes, dont il travailla les motifs sur de remarquables cartons d’étude. La grâce des figures lui fut d’un grand secours dans sa quête du mouvement parfait.
Pour que les rapprochements avec l’antique fussent lisibles, il convenait que des prêts exceptionnels fussent consentis au Musée archéologique de Naples. L’Ermitage, qui abrite la plus importante collection mondiale de marbres de Canova, a joué le jeu en envoyant à Naples six pièces de grande valeur, dont l’Amour ailé sculpté pour le prince Youssoupov, qui retrouve ainsi l’Amour Farnèse auquel il doit beaucoup. Les très célèbres Trois grâces ont repris de même le chemin de l’Italie. Leur admirable sensualité, triomphant dans la douceur lumineuse du modelé et de la matière, est toutefois le résultat d’un processus de création particulièrement méthodique : d’où l’intérêt de la collaboration avec la Gypsothèque de Possagno, berceau de l’artiste, qui conserve et a prêté de nombreux plâtres. On entre ainsi pleinement dans l’atelier de Canova, depuis ses visites assidues aux antiques, la constitution de son répertoire iconographique, en passant par la recherche de l’attitude et les étapes préparatoires, jusqu’à la grande oeuvre finie. Les amateurs de 1820 aspiraient à en enrichir leurs collections et les amateurs de 2020 en jouissent avec autant de plaisir, heureux de voir le soleil de Campanie dorer doucement ces marbres incomparables.
Canova e l’antico – Naples, Musée archéologique national – jusqu’au 30 juin.
Image de titre : Canova, Les Grâces et Vénus dansant devant Mars, Musée Canova, Possagno – DR.