Dans le cadre du 350e anniversaire de la création de l’Opéra de Paris, la Bibliothèque Nationale de France et l’Opéra national de Paris présentent au public à l’Opéra Garnier, jusqu’au 1er septembre, une exposition exceptionnelle, Un air d’Italie, l’Opéra de Paris de Louis XIV à la Révolution. On y découvre comment l’opéra à la française s’est constitué, à travers des pièces d’archives rares. Passionnant.
A l’Opéra Garnier, on remonte le temps et on s’arrête sur les 122 premières années de l’opéra à la française, de sa naissance en 1669 à la fin de ses privilèges en 1791. Un opéra fruit de la fusion entre l’opéra italien et les ballets de cour à la française. 124 pièces sont présentées lors de cette exposition événementielle, issues notamment de la BNF, des Archives Nationales, de musées français (Louvre, Carnavalet…) et de quelques particuliers. On y croise Lully, Gluck, Beaumarchais et Casanova, autour d’une scénographie présentant costumes d’époque, partitions, gravures et recueils.
Un art de la fusion. Tout commence aux origines de l’opéra, bien évidemment. D’un côté, le ballet de cour, en France et ses codes qui le régissent. « Ce qu’il lèguera à l’opéra, c’est surtout l’orchestre à cinq parties de cordes, la place de la danse, les costumes qui avaient un standard élevé en termes de broderies, de dentelles d’or et d’argent » explique Mickaël Bouffard, l’un des trois commissaires de l’exposition. En illustration, une gravure d’un costume à la romaine, créé spécialement pour Louis XIV et un costume en tonnelet, qui permettait aux hommes d’avoir les jambes libres pour danser.
De son côté l’opéra italien, présenté à la cour par Mazarin, en 1645, a produit un choc culturel. Le public assistait pour la première fois aux artifices liés à une grosse machinerie, pour le spectacle La Finta pazza de Sacrati : des décors qui se déploient à vue, des comédiens qui s’envolent sur des cintres, l’arrivée de chars… Tout ceci crée un véritable émerveillement scénique. Aux commandes, Giacomo Torelli et Nicolas Cochin, dont les idées vont provoquer des réactions contrastées, entre l’admiration pour les machines et le rejet de la langue italienne et des castrats. Mazarin, de son côté, va commander un opéra spécialement pour Paris, Orfeo, au coût exorbitant. A tel point, que pendant toute la durée de la Fronde, il n’y aura pas de représentations d’opéras italiens, mais seulement de pièces à machines (notamment une tragédie à machines de Corneille et Torelli).
« La Fronde passée, les ballets sont ajoutés à ces opéras par Lully et où dansait notamment Louis XIV et des expérimentations ont lieu, par Pierre Perrin et Robert Cambert, considérés comme les créateurs de l’opéra français » ajoute Jean-Michel Vinciguerra, le second commissaire. Perrin était en effet critique des opéras italiens, qu’il considérait comme trop longs, voulant les réduire à 1h30 environ. Colbert l’invite à réfléchir à ce que pourrait donner un opéra à la française et c’est ainsi que Louis XIV accorde à Perrin le privilège de fonder, en 1669, la première académie d’opéra, accordant ainsi un véritable monopole de tous les spectacles qui seront chantés à Paris et dans le royaume. Le premier opéra, issu de ce privilège, Pomone, aura lieu en 1671, mais Perrin ne pourra y assister, car emprisonné suite à des malversations financières qui profitent à Lully. Ce dernier obtient le privilège à son tour en 1672, créant l’Académie royale de musique. Et parmi les contributeurs de cette dernière, Philippe Quinault, qui a permis de faire comprendre les textes, avec des livrets qui seront réutilisés quelques années plus tard par le compositeur Christoph Willibald Gluck.
Engouement et désintérêt. Dans les années 1690, se définit l’opéra ballet, où chaque acte est une intrigue en soi, reliée aux autres par quelque chose de poétique. C’est ce que démontre cette nouvelle salle de l’exposition, montrant les premières années de cette académie royale. Désormais, une troupe de 16 danseurs est constituée vivant et travaillant sur place. Les spectacles sont très chorégraphiés, certains danseurs deviennent célèbres et créent des engouements du public qui, parfois, vient uniquement pour eux. Les sujets sont désormais ou contemporains (avec des décors représentant des villes, des hameaux français modernes), ou exotiques (avec des décors sensés représenter la Turquie, l’Espagne ou Venise, avec parfois beaucoup de fantaisie).
Mais très rapidement, arrive l’ère des controverses, qu’elles soient esthétiques ou d’ordre institutionnel… Les avantages conférant un monopole de l’opéra, est mal vu des artistes. Certains en profitent pour faire des parodies de ces opéras, ce qui met Lully en colère et qui les interdit. « Après sa mort, la Comédie italienne, installée à l’Hôtel de Bourgogne, insère dans son répertoire ces mêmes parodies, brocardant danseurs et chanteurs connus de l’époque », rappelle Jean-Michel Vinciguerra. Ils sont alors chassés par Louis XIV et s’installent dans les foires, montant des théâtres de fortune ou des comédies ambulantes. Ils parodient des opéras entiers, le public reprenant les paroles qui s’affichaient, comme des ancêtres du karaoké actuel. Le succès est tel, que l’opéra voit sa fréquentation baisser et doit se diversifier, en créant les premiers opéras comiques.
En 1752, le directeur de l’opéra fait venir une troupe italienne pour l’opéra La Serva Padrona. Une représentation qui fera scandale, ravivant des querelles italiennes autour de la virtuosité de leurs artistes. « Mais c’est l’arrivée de la danseuse Barbara Campanini, battant l’entrechat 8, qui va marquer une révolution à l’époque, car elle danse démasquée, ce qui ne se faisait alors pas », ajoute Mickaël Bouffard. Il y aurait-il une dégénération de la grâce française ? C’est ce qui se dit alors en France. D’autant que depuis 1754, on se replie sur le passé, avec des interprétations d’opéras français du siècle précédent (41% des opéras en sont constitués pendant toute une décennie, jusqu’en 1767). En témoigne une des pièces maîtresses de l’exposition, un manuscrit de Casanova, qui voit un de ces opéras qu’il jugera particulièrement baroque.
Des réformes nécessaires. La dernière section montre les changements que subira l’opéra français en une vingtaine d’années seulement. Dans les années 1770, on essaie de réinventer l’opéra français, notamment Gluck. « Il voulait que les chœurs participent à la dramaturgie. Le chœur de danseurs danse ainsi avec le soliste chanteur, ce qui est une grande nouveauté. Les danseurs sont démasqués, prennent de nouvelles positions plus expressives », poursuit Mickaël Bouffard. Des dessins de Boquet, montrés ici pour la première fois au public, montrent d’ailleurs les nouveautés utilisées également dans les costumes : il n’y a plus de tonnelet et les volumes sont plus naturels… Autre événement d’importance, l’arrivée de Salieri en France, avec Les Danaïdes qui lance sa carrière et la création de Tarare, sur un livret de Beaumarchais. Un immense succès.
Mais l’incendie de l’opéra en 1781, à l’occasion d’une représentation d’Orphée et Eurydice de Gluck, va sonner le glas de l’institution telle qu’on la connaît. Un point d’orgue appuyant les échecs successifs des derniers opéras, qui, depuis Tarare, ne retrouvent pas leur flamboiement d’alors. L’académie est en déficit dans les années 1780. Avec la Révolution, elle passe sous le contrôle de la ville de Paris, en 1790. L’administration Leroux préconise toutefois de le sauver, pour en assurer le rayonnement. Mais la fin de ses privilèges aura lieu en 1791. Désormais, tous les théâtres peuvent donner des opéras. La suite, quant à elle, sera dans la prochaine exposition à la rentrée, toujours à l’Opéra Garnier et portant sur les opéras français du 19e siècle. Gageons qu’elle sera tout aussi riche que celle-ci…