C’est un lieu ouvert, dans une rue vivante du IXe arrondissement. Des enfants passent en sortant de l’école. Au mur, les photographies de Marine Giangregorio. Mais pas seulement des images : des textes aussi, de la main de la photographe, au double sens qu’elle en est l’auteur (à l’exception d’une belle citation de Derrida) et qu’elle les a écrits de sa main. Le dialogue entre les textes et les images, au premier abord, est curieux : bon nombre des poèmes évoquent l’amour, la volupté, la sensualité, tandis que les photographies sont, pour la plupart, « dépeuplées » – dépeuplées d’humains, en tout cas, car le regard de l’animal, singulièrement le regard triste de l’animal captif, les anime, au sens fort de « donner âme ». Marine Giangregorio entend que dans cet écart s’engouffre le vent de la poésie : « ne s’accrocher à aucune rive, sinon celle de l’instant ». L’absence de figures ne signifie nullement, en outre, que les images soient froides ; l’artiste nous invite à mesurer « la sensualité de l’arbre, du ruisseau ». On ajouterait volontiers la sensualité de la main, tant le ductus de la graphie manuscrite participe à la polyphonie d’impressions suscitées par l’exposition Énigme du désir.
Marine Giangregrio est une photographe de première force. Ses images argentiques s’imposent au regard par l’intensité des noirs et des blancs, par une qualité particulière de silence aussi. Ce ne sont pas des photographies bavardes car elles montrent l’élémentaire, c’est-à-dire le jeu des éléments qui tissent le monde. Le ciel, les vagues, la brume, le végétal composent des tableaux d’autant plus chinois que beaucoup d’entre eux ont été pris en Chine même, lors d’un road trip dans le Yunnan, un « voyage au coeur des brumes ». Les eaux peuvent être soulevées en de somptueux éclats d’écume ou limpides, ponctuées de nénuphars saisis d’une façon très picturale. Les arbres d’Extrême-Orient sont frères de ceux des forêts vosgiennes. Un abandon paisible règne sur un vieux cimetière, qui signe le retour de tout et de tous à l’originaire.
L’artiste a eu la sagesse de refuser tout pittoresque. Des traces modestes du quotidien portent témoignage, à l’occasion, d’un monde habité, mais sans mise en scène ni psychologisme. L’une des plus belles photographies de l’exposition montre une route du Tibet, filant droit vers un ciel immense, à travers nulle part. La légende parle d’utopie, non au sens d’un monde parallèle idéal mais d’une autre manière de faire monde, désencombrée de nous et cependant pas inhospitalière. L’espace est ouvert, aussi bien à la marche du voyageur qu’à la rêverie du regardeur, qui a toute liberté d’habiter l’image à son gré. Grâce à cette générosité à offrir des fragments du cosmos, dont le choix et la construction manifestent l’évidence d’un beau talent, sans pour autant leur imposer un sens univoque, on n’a pas envie de quitter trop vite les photographies de Marine Giangregorio, et on sera heureux de les retrouver.
Énigme du désir – Galerie « L’oeil du 8 », 8 rue Milton, Paris IXe – jusqu’au dimanche 19 mai.