Jusqu’au 14 juillet, date sans doute pas choisie au hasard, le musée Cognac-Jay dans le 3e arrondissement parisien, propose l’exposition Génération en Révolution à partir de dessins issus du musée Fabre de Montpellier. L’occasion de découvrir le quotidien des artistes pendant la Révolution Française et l’essor du dessin pendant cette période troublée.
Pour qui ne connaît pas le musée Cognacq-Jay, cette exposition événementielle est une bonne excuse, d’autant qu’elle se poursuit dans les collections permanentes du lieu, ce qui permet de le visiter et de s’émerveiller de ses trésors. Génération en Révolution, c’est une mise en lumière de cette génération d’artistes français (une trentaine d’années en moyenne) qui ont vécu de plein fouet la Révolution Française. Le monde des arts est alors métamorphosé, bouleversé. Les artistes prennent parti pour ou contre la révolution, où l’on voit tour à tour l’annulation des Académies et des commandes royales et aristocratiques. C’est alors l’essor de la pratique du dessin (moins chère à produire et à acheter), introduisant une résurgence des sujets antiques. « Dans cette exposition, on découvre 80 dessins qui sont issus du musée Fabre de Montpellier et qui n’ont jamais été montrés à Paris. On y découvre les choix et les goûts de Fabre, l’élève préféré de David et lui-même un grand collectionneur », précise Annick Lemoine, la directrice du musée Cognacq-Jay. Cette exposition donne donc à voir les goûts de François-Xavier Fabre à son époque. Un artiste dont la carrière a été perturbée à cause des événements, alors que tout avait bien démarré pour lui, lui qui recevait des commandes importantes. Après la chute de la monarchie, comme nombre d’artistes français, il quitte Rome pour Florence, où il va rester près de trente ans, sans rentrer à Paris. Il devient portraitiste, paysagiste et collectionneur (de gravures, dessins, peintures… dont certains sont issus de sa génération de néo-classiques). Cette exposition invite à (re)découvrir cette génération qui a marqué son époque.
Le dessin en première ligne. La première salle de l’exposition : « Dessiner pour apprendre », revient sur la place importante du dessin à cette époque, dans l’enseignement de la peinture. Il faut savoir dessiner pour pouvoir intégrer L’Académie royale de peinture. Le grand maître d’alors se nomme Jacques-Louis David et cette salle revient sur ceux qui lui succéderont et auront marqué à leur tour leur époque, dont François-Xavier Fabre et Anne-Louis Girodet. On retrouve donc ici trois études magistrales de nu masculin, dont une de Fabre, Personnage nu saisissant un cube de pierre. « Comme l’Histoire est en mouvement, on se replie à dessiner des choses plus intimes. Fabre est tout de même resté fidèle aux principes de l’enseignement de David, qui tenait également à lui, car il s’agissait, pour lui, de son élève le plus brillant et le plus instruit », explique Florence Hudowicz, commissaire scientifique de l’exposition. « Les dessins de Fabre étaient nerveux, dynamiques et libres ». La salle cristallise sa rivalité avec son contemporain Girodet. Ils ont tous deux concouru pour le Grand Prix de l’Académie de Rome de peinture. Mais Girodet, qui a été accusé de tricher (et probablement dénoncé par Fabre) a été recalé cette année-là pour Fabre. Il l’aura l’année suivante. A Rome, les deux peintres finissent par devenir amis et Girodet a d’ailleurs dessiné Fabre de manière flatteuse, un portrait que l’on retrouve dans cette salle également, comme si la boucle devait être bouclée.
La deuxième salle, plus petite et intitulée « Eloge de l’individu », met en lumière d’autres contemporains de Fabre et qui ont également marqué leur temps. Ici, on fait la part belle aux portraits. « On ne fait plus de la peinture liée à l’histoire. On se concentre sur des portraits ou des petits formats », précise Florence Hudowicz. Tel cet Autoportrait de Proudhon, un tableau inédit et acquis par le musée il y a moins de deux ans, d’une force extraordinaire et où l’on voit tout le trait de caractère du peintre, lui qui n’a pas voulu suivre l’enseignement de David et qui a eu une vie personnelle difficile. On le retrouve en 1805 dans le dessin suivant, L’Amour et une fillette jouant avec un chat, où il aura cette fois connu le succès et la fortune, grâce à l’art de la gravure. Parmi les autres portraits de la salle, un Fragonard, La Gifle, où on peut voir l’incarnation de son talent, des œuvres de Girodet qui préfigurent son élan romantique ou du miniaturiste Jean-Baptiste Matet.
Détournements de l’Histoire. Dans la troisième salle, « Les vertus de l’Histoire », on retrouve les autres sujets utilisés par les dessinateurs de cette génération en pleine tourmente. « Les sujets historiques étaient jugés les plus ambitieux sous la Révolution, mais il y en a finalement peu sur ce qui se passait » souligne Benjamin Couilleaux, l’autre commissaire scientifique de l’exposition.
A partir de 1793, les artistes français à Rome, dont Fabre, doivent quitter la ville et s’établissent à Florence. Là, ils redécouvrent des sujets antiques (tels ceux de Philippe-Auguste Hennequin présentés ici, lui qui a été marqué par l’enseignement de David et dont les sujets antiques ont une résonnance avec sa vie privée et ses engagements politiques) ou des sujets religieux (Fabre reprenait notamment des grands moments tragiques de l’Ancien Testament). A chaque fois, ces dessinateurs innovent, tout en prenant pour cadre des sujets anciens et certains de ces dessins vont servir à illustrer des textes littéraires.
Le retour du paysage. Autre sujet de prédilection de ces peintres, ceux que l’on retrouve dans la dernière salle, « Voyages et nature ». « Le paysage connaît un renouveau dans la peinture et les dessins du 18e siècle. Cela provient notamment de la fascination pour les peintes, des artistes du 17e siècle, comme Poussin », précise Benjamin Couilleaux. Il y a désormais un regard porté sur des paysages qui étaient peu représentés auparavant, voire jamais ou pour des scènes de la vie quotidienne. Sans oublier un intérêt renouvelé pour l’urbanisme et une mise en avant de sites qui méritent, selon leurs peintres, un attrait pittoresque ou touristique. On admire ici leur intérêt pour le charme de villes italiennes, comme Rome et Venise (ou Constantinople, où s’est rendu Antoine-Laurent Castellan), avec une vision pré-romantique des ruines antiques. Le 12 mai, de nombreux dessins de cette exposition seront remplacés par d’autres. Courez vite admirez les premiers et retentez ce voyage dans le passé avec les prochains !
Musée Cognacq-Jay, 8 rue Elzévir 75003 Paris
Du mardi au dimanche de 10h à 18h.