« Le Marché de l’art sous l’Occupation » : une exposition essentielle

« Le Marché de l’art sous l’Occupation » : une exposition essentielle
Vente aux enchères. Paris, galerie Charpentier, juin 1944. ©Lapi/Roger-Viollet.
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Attention événement : le Mémorial de la Shoah de Paris, propose actuellement et jusqu’au 3 novembre, une exposition qui risque de faire grand bruit, tant le sujet est encore polémique. Le Marché de l’art sous l’Occupation, 1940-1944 traite en effet du douloureux problème de la spoliation des biens des Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale.

C’est l’un des thèmes qui fait grincer bien des dents dans le monde de l’art : les œuvres artistiques ayant appartenu aux Juifs et qui ont été ou détruites, ou spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale. Et dont certaines sont toujours au sein de collections privées, introuvables, ressurgissant lors de mises en vente dans des grandes maisons d’enchères ou toujours accrochées dans des musées. Des batailles juridiques, des armées d’experts sont encore en train d’analyser des tableaux afin de connaître leurs véritables propriétaires, tandis que des musées tentent de montrer leur bonne foi avec des documents officiels. Le Mémorial de la Shoah revient sur ce douloureux passage de notre histoire, celui de l’état du marché de l’art pendant l’occupation allemande, jusqu’à la libération progressive de la France. On y découvre de petites histoires dans la grande et elles sont toutes poignantes d’émotion.

Une balade urbaine dans un passé proche. A la conception de cet événement, Emmanuelle Polack, docteure en Histoire de l’art et qui a publié un recueil éponyme à l’exposition et d’où provient l’essentiel des textes présentés. Elle a été pensée il y a quelques années, après l’exposition La Spoliation des Juifs, également au Mémorial. Ici, on revient sur un sujet finalement encore peu exploité, celui du marché de l’art sous l’Occupation. Même si l’exposition 21 rue La Boétie au Musée Maillol l’abordait également. « Retrouver des œuvres d’art ayant appartenu aux Juifs français n’est pas encore terminé. Cette exposition est le fruit de six ans de travail. Elle a été pensée comme une balade urbaine dans le marché de l’art florissant à l’époque », explique Emmanuelle Polack. Elle interroge sur diverses questions telles que « Qu’est-ce que le marché de l’art ? » (« un marchand qui rencontre un collectionneur autour d’une chose souhaitée ») ou qu’est-ce cela représentait alors, avec les lois allemandes et celles de Vichy ? En préambule, sur des écrans vidéo, un panorama de photos jamais représentées auparavant, ainsi qu’une affiche de l’exposition sur l’Art Dégénéré de 1937, présentant les œuvres et artistes que les Allemands devaient honnir. « Un discours qui a pénétré également dans l’esprit des Français, par le biais de la presse antisémite, qui vouait aux gémonies des artistes tels que Picasso ou Matisse, considérés comme des artistes de second ordre. On considérait que les Juifs ne pouvaient pas se permettre d’apprécier et de faire de l’art et qu’ils perturbaient la culture française », reprend Emnanuelle Polack. Pour preuve, l’exposition sur l’art judéo-bolchévique à Paris en 1942 qui se tint, avec succès, au Jeu de Paume et à l’Orangerie.

Adolf Hitler (1889-1945) et André François-Poncet (1887-1978), homme politique et diplomate français, lors d’une exposition d’art français. Berlin (Allemagne), Parizer Platz, 1937. Photographie de Heinrich Hoffmann (1885-1957), publiée dans le journal « B.Z. ».

 

Galeries et salles de vente pendant la guerre. La première salle est ainsi consacrée aux galeries d’art phares de l’époque, qui ont eu un destin exceptionnel. La moitié d’entre elles fut aryanisée ou spoliée. Comme celle de Berthe Weill, la seule gérée par une femme, qui tenait à mettre en avant des artistes modernes et ouverte jusqu’en 1941. Ou celle de Pierre Loeb qui a dû aryaniser sa galerie lui-même, tout en continuant ses recherches. La galerie de Paul Rosenberg, le plus grand marchant d’art moderne de l’époque et le plus connu aussi, qui a pu fuir au bon moment aux Etats-Unis. Ou encore la galerie de René Gimpel qui a dû fuir sur la French Riviera, deviendra résistant et sera dénoncé par un confrère. René Gimpel décédera en déportation en janvier 1945. Toutes ces galeries sont symboliquement reproduites ici, avec des fac-similés des œuvres qu’elles représentaient et des documents qui proviennent des Archives Nationales et stigmatisant leur aryanisation. Pour atteindre la salle suivante, un couloir où l’on retrouve des ordonnances allemandes et celles des lois de Vichy quant à la spoliation des Juifs. Un passé pas si lointain.

Vente aux enchères dirigée par Maître Ader. Paris, galerie Charpentier, juin 1944.

 

La seconde salle est quant à elle consacrée à l’Hôtel Drouot sous l’Occupation. Des chaises sont disposées comme si elles attendaient de futurs acquéreurs. Sur les murs, des affiches concernant des ventes de biens dits israélites. Sur celui du fond, une projection vidéo, avec en fond sonore, une litanie de lots de tout ce qui était vendu à l’époque. « Les acheteurs ne pouvaient pas ignorer d’où provenaient les objets en question », souligne Emmanuelle Pollack. « A l’Hôtel, on retrouve des acheteurs enrichis par le marché noir, des dignitaires nazis qui ont les meilleurs sièges… Il y a de très belles ventes alors ». En regard, une vitrine présentant des photos attestant de la présence de panneaux d’interdiction d’accès aux à l’Hôtel Drouot, où on vendait de tout, des tableaux de maître aux machines à coudre.

Une question toujours d’actualité. La salle suivante met en avant le marché de l’art sur la French Riviera, en zone libre donc, avec une mise en avant de l’Hôtel Savoie à Nice, où se tenaient des ventes spoliatrices. Comme la plus emblématique, celle d’Armand Isaac Dorville, la vente de la succession d’un amateur d’art parisien, mise sous administration provisoire et passée sous le feu des enchères. « Dorville était un grand avocat qui voulait léguer ses œuvres aux musées nationaux. Mais, traqué par les autorités, il a dû se réfugier dans le Sud de la France, avec une partie de sa collection. Quand il meurt en 1941, ses frères et sœurs ne peuvent récupérer sa succession qui passera donc en vente aux enchères. Des conservateurs célèbres, dont celui du Louvre, en feront des acquisitions », raconte Emmanuelle Pollack. Cette collection privée est donc rentrée dans des collections nationales et ce n’est pas la seule. Au lendemain de la guerre, les galéristes collaborateurs sous l’Occupation vont très vite retourner leur veste en 1945. « Pendant cette période troublée, les musées nationaux ont complété leurs collections. 100 000 œuvres seraient allées de la France à l’Allemagne, 60 000 en sont revenues. Et 2 000 sont encore dans des musées nationaux… » poursuit la docteure en Histoire de l’art.

La salle des antiquités orientales du musée du Louvre sert d’espace de stockage aux œuvres d’art spoliées. France, 1943-1944. © Mémorial de la Shoah / Coll. Bundesarchiv.

 

Dans la dernière salle, elle nous présente une reconstitution d’un atelier de recherche de provenance, soit ce à quoi elle consacre ses journées. « On travaille sur des tableaux, des documents, on fait de la veille informatique pour avoir des alertes sur des œuvres d’art spoliées, dont certaines ressurgissent en salles de vente. Restituer, c’est tenter de réparer, permettre aux familles de récupérer leurs œuvres familiales et de faire leur deuil ». Cette exposition, essentielle, en est un premier pas.

Mémorial de la Shoah
17 rue Geoffroy-l’Asnier 75004 Paris

Tous jours de 10h à 18h, sauf le samedi. Nocturne le jeudi jusqu’à 22h.