Les femmes crèvent l’écran à la galerie Danysz

Les femmes crèvent l’écran à la galerie Danysz
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Pour la deuxième fois en deux ans, la galerie Danysz s’associe avec Barbara Polla (Analix Forever) pour présenter une exposition « video only ». Un courage rare dans un espace de galerie, quand on sait combien la vidéo d’art nécessite, de la part du spectateur, d’attention, de temps, d’engagement. « Fucking Beautiful » (2017) réunissait six artistes femmes, vidéastes et confirmées dans leur pratique ; les galeristes, avec ce titre, osaient parler de la beauté des œuvres d’art, soulignant aussi, dans un geste féministe largement ouvert, y compris aux hommes, combien la création et la beauté artistiques exigent de prises de risque. 

Avec MOVING WOMEN, la perspective est autre. Huit artistes, parfaite parité : quatre femmes, Dana Hoey, Clare Langan, Ypaci Ramos et Lee Yanor, et quatre hommes, Laurent Fiévet, Shaun Gladwell, Erwin Olaf, Mario Rizzi. Mais sur les écrans, crevant l’écran, des femmes, encore des femmes (impossible de dire, en l’occurrence, « que » des femmes, la puissance des images nous retient de ce faux pas). MOVING WOMEN ? Images mouvantes, bien sûr, femmes en mouvement, indubitablement, mais aussi femmes émouvantes. Les galeristes en effet n’ont succombé à aucun parti pris politique autre que celui de dire : « femmes, nous vous aimons, nous vous admirons, nous faisons partie de vous, vous êtes notre monde, riche, complexe, singulier ». La diversité des femmes reflète la diversité des créateurs.

Shaun Gladwell, A portrait of Nancy Bird Walton, 2015.

De la rue, on voit l’océan et un visage de femme, casqué, qui flotte, nous regarde et nous interpelle : le casque est celui d’un aviateur, le regard est scrutateur. Mais pourquoi l’aviatrice – il s’agit de la célèbre Nancy Bird – est-elle dans l’eau ? On saura qu’elle y cherche son mentor, disparu dans l’océan. Pour Shaun Gladwell (Australie, pavillon australien à la Biennale de Venise en 2009, exposition rétrospective au MCA Sydney en 2019), qui depuis toujours rêve de voler, Nancy Bird est un modèle – plus encore, elle est, pour l’artiste, « un double psychique ». La thématique du double et celle de l’immersion se retrouvent dans la même grande salle, avec la vidéo de Clare Langan (Irlande, Biennale de l’Image en Mouvement, Francfort, 2017). Le spectateur est happé par l’infinie douceur des images : mère et fille s’enlacent et se délacent, nagent, plongent, émergent, fusionnent et se séparent, dansent à la surface de l’eau sur la musique de Jóhann Jóhannsson. La projection à grande dimension invite le spectateur à participer de la fluidité sensuelle de l’œuvre, alors que la projection sur écran (le double, encore) l’invite à regarder la perfection des images.

Mario Rizzi, Al Inthitar (The Waiting), 2013.

Mais la femme, sur les écrans de la galerie Danysz, n’est pas seulement aquatique. Puissante, elle boxe avec un double femme (Dana Hoey, USA ; reconnue notamment pour « The Phantom Sex », 2012, University Art Museum at Albany, New York) ; hésitante parfois, elle siffle avec et pour ses compagnons d’emprisonnement – oiseaux en cage – comme pour mieux comprendre son propre environnement, ses propres moyens d’évasion, ou leur absence (Laurent Fiévet, France, lauréat 2018 du prix vidéo de l’Hôtel Windsor décerné par Caroline Bourgeois et Gilles Fuchs) ; fière et invincible, elle marche nue (socialement nue, selon l’artiste), dans un souterrain tagué, elle qui s’appelle Natalia et dont on pourrait dire qu’elle appartient à la famille des « clochards célestes », à la fois modèle et créature de Yapci Ramos (Espagne, triple exposition en cours dans les musées de Tenerife, Las Palmas et Montevideo) ; ou encore, dans un camp de réfugiés en Jordanie, responsable, solitaire, elle réorganise patiemment son existence, son enfant dans les bras, dans le film Al Inthitar (L’attente) de Mario Rizzi (Italie ; représentant du pavillon tunisien à la dernière Biennale de Venise, habitué du Festival du Film de Berlin). 

Deux projections multiples encore : l’une de Lee Yanor (Israël, une récidiviste de « Fucking Beautiful »), une série de cinq films montés en boucle, le titre de la série est Vanishings & farewells (2018-2019) mais chaque film se contemple pour lui-même. Plus que jamais, on ressent combien la vidéo d’art est exigeante et généreuse : elle requiert certes le temps du spectateur, mais lui offre en retour des milliers d’images et une nouvelle perception du monde. Comme dans la poésie, ici, l’émotion est. Elle est plurielle et mémorielle, mélancolique, sensuelle, absurde, onirique : Moving women, all along. Quant à Erwin Olaf (Pays-Bas, exposé en ce moment au GemeenteMuseum de la Haye et bientôt au Rijksmuseum à Amsterdam), il nous propose un « quintiptyque » de Moving Portraits qui nous regardent et nous chuchotent « aime-moi, regarde-moi »… Un stéréotype de femme-objet dans une exposition féministe ? Ou une manière de rappeler que le féminisme est humanisme, et que chacun.e d’entre nous, toujours, porte, en lui comme en elle, le désir de s’exposer et d’être aimé ? 

Clare Langan, Flight from the city, 2016.

 

Vernissage le 13 avril, exposition jusqu’au 16 mai. Galerie Danysz, 78 rue Amelot, Paris IIIe.

Le 14 mai à 19h, VIDEO FOREVER « Féminismes », avec Barbara Polla et Paul Ardenne, à l’occasion de MOVING WOMEN et de la parution du dernier livre de Barbara Polla, Le nouveau féminisme, combats et rêves de l’ère post-Weinstein (Odile Jacob, mai 2019).

Image de titre : Lee Yanor, Untitled, 2019.