On peut compter sur les doigts d’une main les réalisatrices françaises qui se risquent au genre fantastique. Constance Guirlet est de celles-là, imposant un style esthétique reconnaissable immédiatement. Elle vient de fonder sa propre boîte de production, Kaplan &Kaplan, afin de développer des longs-métrages qui ne ressembleront à aucun autre. Rencontre avec une jeune créatrice d’images indélébiles.
Comment êtes-vous venue à la réalisation ?
Constance Guirlet : Je fais partie de la première promotion de l’Ecole de la Cité, fondée par Luc Besson. J’étais en section réalisation. Tout était à faire, on était les premiers à découvrir la Cité du Cinéma, où toutes les productions et les studios étaient en train de s’installer. C’était vraiment chouette ! J’en suis sortie il y a 4 ans, mais je faisais déjà des films quand j’ai commencé mes études. En sortant, j’ai pu le faire de manière professionnelle, en montant ma boîte de production.
Dans vos trois courts-métrages, Lunar Prospector One, Orage ou Kitty Kat, des liens semblent exister entre eux, notamment dans le fait qu’il y a une couleur prépondérante à chacun…
CG : Dans Kitty Kat, c’est effectivement le sépia qui l’emporte, avec du rouge gothique, dans un univers très froid. Lunar est rouge orangé et Orage, bleu nuit. Quand j’écris mes films, j’aime en définir les couleurs, par rapport à ce que je ressens pendant l’écriture du scénario. Je cherche tout le temps à m’attacher à un code couleurs.
Il y a aussi la sensation de personnages isolés, en rupture avec l’extérieur, livrés à eux-mêmes…
CG : Oui, mais c’est aussi parce que ce sont des thématiques fantastiques, avec des personnages qui sont perdus par rapport à une contradiction entre le réel et le surnaturel. J’aime quand la frontière est aussi mince. Les personnages sont toujours perdus, tout en étant les plus proches de voir dans le monde réel, la part de fantastique.
C’est le genre de films que vous affectionnez ?
CG : J’ai toujours été attirée par le fantastique. Il y a énormément de possibilités au niveau de l’image, de l’esthétique. Plus que dans le cinéma d’horreur ou de genre en général.
Quels réalisateurs vous ont influencé ?
CG : J’aime beaucoup Polanski. Je trouve que l’on retrouve dans ses films cette espèce d’hésitation entre ce qu’il se passe vraiment et ce qui relève du fantasme. Il arrive à faire exister le fantastique dans la réalité, notamment dans Le Locataire. J’aime beaucoup Bergman aussi. Kubrick me fascine également. Au début, c’était uniquement pour son esthétisme fou. Plus tard, j’ai été touchée de manière plus sensible par ses films, comme Full Metal Jacket. Tout est incroyable dans ses films. Dans Lunar, il y a forcément une petite référence à 2001, l’odyssée de l’espace, que j’ai adoré.
Vos films sont-ils vus dans des festivals ?
CG : Kitty Kat a participé à plusieurs festivals déjà. Pour Lunar, on commence les envois. Pour tout vous dire, j’avais tourné la première moitié du film pendant mes études, en profitant du matériel et des studios que nous avions à disposition à la Cité du Cinéma. Mais je l’ai terminé tout récemment.
Ce ne fut pas compliqué de faire Lunar ainsi en deux parties ?
CG : Non, car on a tourné surtout les séquences avec les ingénieurs, tout restait en cohérence. La plupart des séquences avaient été tournées dans la même temporalité, c’étaient simplement quelques plans qui ont été tournés en deux fois. Ce sont surtout les effets spéciaux qui nous ont pris du temps.
Il y a de plus en plus une mouvance de femmes réalisatrices qui vont vers le cinéma de genre, notamment fantastique. Qu’en pensez-vous ?
CG : Cela me fait plaisir, car dans le milieu du cinéma, les femmes ont encore une place à se faire et d’autant plus dans le cinéma fantastique. Mais ces dernières années, des films de genre réalisés par des femmes réussissent à se faire leur place. Je pense à Grave de Julia Ducournau, par exemple. J’espère que cela va se développer davantage. Dans la section réalisation où j’étais, nous étions très peu, mais dans les suivantes, il y avait des femmes dans la science-fiction. C’était plus prégnant dans la section scénaristes, avec qui on était en collaboration.
Pourquoi avoir monté votre boîte de production, Kaplan&Kaplan ?
CG : Je me suis associée avec Justine Roche, la scénariste de Lunar qui est issue de la même promotion que moi. J’y ai rencontré aussi mon assistante réalisatrice, avec qui nous avons monté cette société. Cela nous permet de monter nos propres projets.
Quels sont vos projets ?
CG : Nous avons deux longs-métrages en cours d’écriture en ce moment, dont un qui aurait dû n’être qu’un court et qui se prolonge. Ce sera dans le genre fantastique, encore une fois, c’est vraiment ce qui m’intéresse et que j’ai envie de développer. Ce serait bien qu’il puisse y avoir du cinéma fantastique en France, comme il y en a dans les pays scandinaves ou aux Etats-Unis. C’est dommage, car en France, on a une vraie mythologie fantastique et trop peu de productions vont dans ce sens-là. C’est surtout pour cela qu’on a fait notre société, pour apporter notre pierre à l’édifice. On espère que prochainement, on n’aura plus peur de faire ce type de cinéma en France…