L’œuvre d’art est toujours un fragment de monde, réel ou « mental », découpé selon une forme. Et quelle forme est plus indiquée pour cadrer le monde que la fenêtre ? À l’invitation du jeune commissaire Henri Guette, douze artistes se sont emparés d’une fenêtre illustre : celle que dessina Mallet-Stevens pour l’Hôtel des Roches Noires de Trouville, et qui fait partie des leitmotive d’une grande habituée des lieux, Marguerite Duras. Chacun s’est vu attribuer l’un des douze morceaux de la fenêtre ; cela lui dictait une forme. Pour le reste, liberté grande ! Il y a donc de quoi susciter la curiosité des visiteurs de la petite galerie « Vitrine 65 ». Ce que l’on pouvait espérer de meilleur est au rendez-vous : beaucoup de diversité, mais aussi toute une série de connexions, inattendues, qui relient souterrainement des œuvres conçues en toute indépendance, selon des techniques et des cultures visuelles très variées.
Assez logiquement, pour évoquer une fenêtre ouvrant sur des ciels marins, plusieurs propositions se présentent en dominante de bleu. Aranthell joue avec délicatesse et humour sur le motif de la buée, tandis qu’à côté Simon Martin travaille sur les opacités et les transparences de la matière picturale qui à la fois dissimule et révèle un corps. Face à eux, Nathanaëlle Herbelin, dans une gamme de couleurs beaucoup plus sourde, donne à voir une fenêtre dans la fenêtre, étrange et vaguement inquiétante. Levant ou couchant, on ne sait, le bleu est mangé par le rose… Au premier regard, on n’échappe pas à la ronde de figures de Cécilia Granara, pleine de dynamisme, marquée par les traditions de l’Inde. Juste en-dessous, on en retrouve la palette dans la « prédelle » que Guillaume Linard-Osorio a réalisée en soufflant de la couleur dans les minces rainures d’un polycarbonate. Rose aussi, et pailletée, est la « Vierge patiente » de Fabio Romano ; même s’il est permis d’y distinguer un visage, c’est plutôt à la constellation qu’a pensé l’artiste, à ces lumières lointaines que l’on regarde la nuit, par les fenêtres. Rose enfin la « scène d’atelier » de Claire Vaudey, un jeu sur cet héritage de motifs, de formes, d’objets qui participent au mythe de l’artiste, tout comme dialogue avec la séculaire règle de perspective le carré de Johann Larnouhet.
Par la vigueur de ses tons chauds, le grand panneau de Christine Safa fait imaginer des voyages vers des ailleurs plus lointains (India Song…). Henri Guette a choisi de le faire dialoguer avec un étonnant travail à l’encre sur verre de Justin Weiler, dont les effets de matière sont fascinants. Les noirs de Weiler répondent à la bordure noire encadrant un grand blanc de France Parsus, comme une fenêtre ouverte sur le rêve. Comment ne pas couronner l’édifice par une apothéose de lumière ? Telle est la belle contribution de Kai-Chung Chang, sous la forme d’une grande arcade de technique mixte faisant le « portrait » d’une lumière glorieuse, dorée. Partant d’un projet original et brillant, créant pour quelques jours un groupe éphémère sans autre lien que le hasard heureux des rencontres et les idiosyncrasies du goût, On view mérite d’être regardée avec le même soin qui a présidé à sa conception.
On view, Galerie « Vitrine 65 », 65 rue Notre-Dame de Nazareth, Paris IIIe, jusqu’au 17 mars.
Clichés Aranthell & Henri Guette.