Au Musée de Montmartre, on célèbre un artiste trop méconnu et au talent pourtant immense, Georges Dorignac. L’exposition qui lui est consacré jusqu’au 8 septembre, Georges Dorignac, corps et âme, répare cette injustice et remet en lumière son travail souvent porté par les figures noires au fusain.
Georges Dorignac. Ce nom, pendant longtemps, a été quelque peu oublié. Tout juste une grande exposition monographique lui a récemment été dédié à Bordeaux et à Roubaix. Mais à Paris, rien. Rien jusqu’à cet événement, Georges Dorignac, corps et âme, qui lui fait retrouver le quartier où il a vécu. Montmartre qu’il a gagné après avoir vécu ses premières années à Bordeaux. Quand on la visite, on peut s’étonner du peu de notoriété de l’artiste depuis sa mort en 1925, tant son œuvre est puissante et singulière, d’une grande modernité pour l’époque. « Cela s’explique par le fait qu’il soit décédé prématurément, à l’âge de 46 ans, qu’il a détruit de nombreuses de ses œuvres parce qu’il en était insatisfait et qu’il a suivi son propre chemin artistique, sans suivre les courants d’alors comme le cubisme. Il a toujours souhaité être un artiste indépendant et libre », explique Saskia Ooms, responsable de la conservation du Musée de Montmartre.
La liberté au bout de l’impressionnisme. Libre et indépendant, ce sont en effet les qualificatifs qui nous viennent en parcourant cette exposition de 85 de ses œuvres, présentée de manière chronologique. Comme dans cette première salle, où Dorignac suivait alors le courant en vogue, l’impressionnisme, pour mieux s’en détacher au fur et à mesure. Ses premières peintures, de 1902 à 1910 sont ainsi portées vers l’impressionnisme, s’intéressant au pointillisme et à l’école espagnole du divisionnisme, mettant en scène sa propre famille ou des décors de paysages d’Ile-de-France. « Nous avons mis en correspondance avec ses tableaux, des peintres qui lui étaient contemporains et qu’il admirait, comme Signac ou Eugène Carrière. Il avait aussi été très impressionné par l’exposition consacrée à Seurat en 1905 », poursuit Saskia Ooms. Ce ne seront pas les seuls artistes avec qui il sera mis en opposition ou au contraire, en adéquation. Si Dorignac se cherche encore, il a déjà réussi à trouver un mécène qui l’accompagnera tout au long de sa carrière, Gastin Meunier du Houssoy, qui sera fasciné par l’artiste.
Noir c’est noir. Ce dernier connaît pourtant des temps de vache maigre et sa famille a recours à des trésors d’imagination pour cacher la misère qui la touche de près. Après avoir tout perdu, Dorignac intègre la Ruche en 1910, une cité d’artistes où il croise de futurs grands noms tels que Modigliani, Soutine ou Zadkine. Austérité oblige, il abandonne la couleur pour le fusain, qui deviendra sa marque de fabrique, avec des tableaux noirs particulièrement saisissants. Le noir, qu’il mélange parfois à la sanguine, lui permet de représenter l’expressivité de l’âme, utilisant toute la feuille dont il dispose et mettant également du corps à ses dessins. « Il était très influencé par la sculpture, notamment celle de Rodin. On retrouve dans ses dessins des traits sculptés et une certaine luminosité, sans chercher à idéaliser le modèle ». A tel point que Rodin, observant le travail de Dorignac dira de lui : « Dorignac sculpte ses dessins ». Il faut dire que l’artiste est passionné par l’anatomie et la musculature des corps, modifiant la silhouette de ses modèles pour coller à sa vision. « Dorignac ne cessera d’expérimenter avec la technique, ce qui fait qu’il a une manière très moderne de créer », souligne Saskia Ooms.
Le corps avant tout. C’est ce dont on se rend compte dans la deuxième partie de l’exposition, où l’on découvre un Dorignac à la fois le même et complètement différent. Le corps est toujours présent dans son travail, mais le voici en action, lui rappelant tous ses hommes et femmes qui travaillaient durement pendant son enfance girondine. En cela, il s’inspire de Millet et de Courbet, mais s’éloigne de Degas quand il dessine des danseuses. Car les danseuses de Dorignac semblent massives et figées et sûrement inspirées de celles qu’il voyait au théâtre. « Il était très cultivé et allait souvent au théâtre, aux musées ou dans des concerts ».
Beauté et spiritualité. Mais dans la dernière partie de l’exposition, c’est un tout autre artiste que l’on retrouve, avec une œuvre plus empreinte de religion et de spiritualité et des tableaux plus monumentaux. Agnostique dans sa jeunesse, laissant ses filles choisir de se baptiser ou non, Dorignac devient de plus en plus croyant après la Première Guerre mondiale, ayant perdu plusieurs de ses amis. Et cela se ressent dans son travail. Comme dans l’huile sur toile Jeanne d’Arc écoutant les voix ou L’Histoire de Jeanne d’Arc, daté de 1918 et que l’on pourrait prendre pour une tapisserie médiévale. Dans l’auréole de la sainte, des éléments racontant son histoire et tout autour d’elle, des inspirations perses et byzantines. Il en est de même avec une représentation de la Vierge de face, comme dans l’art byzantin et presque comme un buddha. « Ce qui lui importait, c’était la représentation du beau et du vrai ».
Parmi les autres œuvres de cette dernière partie de sa vie, un projet de vitrail du Christ en Croix, représentant la rédemption de l’âme et dont est exposée ici la partie basse, composée d’un dragon. La partie supérieure est de son côté montrée dans la Basilique du Sacré Cœur. On peut aussi découvrir un Mandala où sont symbolisées toutes les religions (chrétienne, islamique, juive, bouddhiste…), ainsi que les signes du zodiaque. Enfin, l’exposition se termine par un témoignage de la reconnaissance du travail de Dorignac vers la fin de sa vie, avec l’affiche qu’il composa pour le Salon d’Automne en 1922. « Je suis obligé de vivre du trésor de mes rêves » disait-il pour justifier son manque de moyens pour voyager. Un trésor inestimable et que l’on peut enfin découvrir à sa juste valeur.
Musée de Montmartre
12 rue Corot 75018 Paris
Ouvert tous les jours, de 10h à 18h d’octobre à mars et de 10h à 19h, d’avril à septembre.