Les fenêtres de Kelly

Les fenêtres de Kelly
"Window VI", 1950 Oil on canvas and wood; two joined panels 66,40 x 159,70 cm Ellsworth Kelly Studio © Ellsworth Kelly Foundation Ph. Hulya Kolabas, courtesy Ellsworth Kelly Studio.
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Le centre Pompidou présente jusqu’au 25 mai une exposition intitulée Fenêtres qui regroupe plusieurs œuvres du peintre abstrait américain Ellworth Kelly. Déclinée autour du tableau Window, Museum of Modern Art, Paris offert par l’artiste au Centre Pompidou quelques mois avant son décès en 2015, cette exposition réunit les six fenêtres qu’il a réalisées en France en 1949 et 1950 ainsi qu’un ensemble de croquis, photographies et peintures qui fait directement écho à ce motif. Elle permet de revenir sur les premiers pas de l’artiste dans l’abstraction et sur le rôle décisif qu’a joué l’architecture française dans ce tournant non figuratif.

C’est en effet après avoir suivi des cours à l’école du Museum of Fine Arts de Boston que Kelly profite d’une bourse d’étude accordée aux soldats démobilisés pour s’installer à Paris d’octobre 1948 à juin 1954 ; sa peinture figurative prend alors une inflexion de plus en plus abstraite. Kelly réalise ses premières fenêtres lors d’un séjour à Belle-Île-en Mer en 1949. Les deux premières sont des peintures en noir et blanc de dimensions modestes ; la dernière, d’un format plus large, forme un monochrome blanc dont le motif a été cousu sur la toile. Les trois œuvres dessinent des structures issues de l’observation de l’agencement des fenêtres de la ferme que l’artiste occupe. La quatrième fenêtre, intitulée Window, Museum of Modern Art, Paris, est faite d’une juxtaposition d’un panneau de bois et d’une toile. Peinte en noir, blanc et gris, cette construction de plus d’un mètre réplique la structure moderniste d’une fenêtre du Musée national d’art moderne de l’époque (l’actuel Palais de Tokyo). Window V, produite l’année suivante, est un panneau de bois peint. Il ne représente pas la structure d’une fenêtre mais l’ombre projetée à travers une fenêtre d’hôtel dans un village du sud de la France. La dernière, Window VI, diffère des autres par l’ajout de couleurs. Constituée elle aussi de deux panneaux de toile et bois, elle reproduit une composition vue à travers l’encadrement d’une fenêtre du Pavillon suisse de la Cité universitaire conçu par Le Corbusier et Pierre Jeanneret en 1930.

« Window », Museum of Modern Art, Paris, novembre 1949 Oil on canvas and wood; two stretched canvases assembled vertically by wooden sticks 128,60 x 49,20 cm Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne. Gift of the artist, 2015 © Photo Centre Georges Pompidou, MNAM-CCI/ Audrey Laurans/Dist.RMN.

 

Le public avait eu l’occasion cet été de découvrir l’influence de Monet sur l’œuvre de Kelly lors de l’exposition Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet au musée de l’Orangerie qui présentait le Tableau vert peint par l’artiste en 1952 après sa découverte des Nymphéas. Il faut peut-être ici chercher du côté de Matisse et se déplacer au niveau 5 du musée pour observer la toile Porte-fenêtre à Collioure (Fenêtre ouverte ; Le Balcon ouvert) peinte par l’artiste à l’hiver 1914. Bien que représentant une porte-fenêtre, ce tableau se présente comme une composition non figurative faite d’une juxtaposition de bandes colorées parallèles bleues, noires, grises et vertes. Si cette œuvre évoque celles de Kelly par son caractère abstrait et sa planéité affichée, c’est surtout la couche de peinture noire qui recouvre ce qui à l’origine était un paysage figuratif et fait perdre les connotations de transparence attachée à ce motif depuis le XVe siècle qui rend ce tableau très proche de la démarche de Kelly. Alors que la fenêtre avait été assimilée au tableau lui-même par Alberti dans son livre De pictura, faisant de l’espace pictural le lieu d’une représentation mais surtout d’une narration, celle obstruée de Matisse affiche au contraire son opacité et signe par là-même son absence de récit. C’est cette qualité d’objet qu’on retrouve dans les différentes fenêtres de Kelly qui se présentent comme des compositions formelles. Dans ses Notes de 1969, Kelly écrit à ce sujet : « Après avoir construit Fenêtre avec deux toiles et un cadre de bois, je me suis rendu compte que, désormais, la peinture telle que je l’avais connue était terminée pour moi. À l’avenir, les œuvres devraient être des objets, non signés, anonymes. Partout où je regardais, tout ce que je voyais devenait quelque chose à réaliser ; tout devait être exactement ce que c’était, sans rien de superflu. » Il s’agit désormais de dupliquer le réel dans d’autres matériaux, dimensions et couleurs sans en modifier la composition, d’appliquer ce principe du « already made » qui chez Kelly semble plus correspondre à un « déjà-là » qu’à un « déjà fait ».

« Open Window », Hôtel de Bourgogne, 1949 Pencil on paper 19,70 x 13,30 cm 40 x 32,38 x 4,44 cm (frame) Ellsworth Kelly Studio © Ellsworth Kelly Foundation Ph. courtesy Ellsworth Kelly Studio.

 

Si Kelly se dégage de toutes références au réel par la suite, les fenêtres réalisées en France, ont été son premier pas vers l’abstraction. La dernière peinture de  l’artiste présente dans l’exposition, White over Black III, permet de mesurer l’importance des premières fenêtres pour le développement de la carrière de Kelly. Bien que formée de deux éléments superposés et non plus juxtaposés, cette œuvre, par la simplicité de sa composition en noir et blanc, évoque la Window, Museum of Modern Art, Paris du Musée.

« White Over Black III », 2015 Oil on canvas; two joined panels 228,60 x 150,50 x 7 cm Courtesy Matthew Marks Gallery © Ellsworth Kelly Foundation Ph. Ron Amstutz, courtesy Ellsworth Kelly Studio.