Robert Mapplethorpe aimait l’Italie, et particulièrement l’Italie du sud. La volupté propre au climat et aux moeurs convenait à l’admirateur des fondateurs de la photographie érotique masculine, comme Gloeden, qui ont travaillé au bord de la baie de Naples. Dans la métropole campanienne le photographe new-yorkais a été exposé dès 1984. C’est donc aujourd’hui un retour, dans le beau musée d’art contemporain « Madre », dix ans aussi après la rétrospective de l’Accademia florentine, Mapplethorpe : la perferzione della forma. De perfection il est toujours question, mais selon une approche bien particulière, spécifiée par le titre de l’événement : Coreografia per una mostra. Cette référence à la danse signifie, de façon très explicite, que l’exposition a été conçue en lien étroit avec un programme de performances qui se déroulent dans les salles, devant les oeuvres même. Ainsi, pour l’ouverture, à la mi-décembre, Olivier Dubois a présenté une création.
Mais le sens de coreografia déborde cette volonté de croisement des genres. C’est l’exposition elle-même qui est chorégraphie, qui veut entraîner le visiteur dans le flux de dynamisme qui déborde des images – et pas seulement des photographies, puisque l’itinéraire, qui dessine un chiasme savant, a été pensé pour faire dialoguer les sublimes images de Mapplethorpe et des pièces anciennes sculptées ou peintes, prêtées par le richissime Musée archéologique de Naples et par le Musée de Capodimonte. Dès la première salle, un très beau nu antique répond aux musculatures des modèles, tandis que plus loin, l’érotisme intense des photos fait ressortir la charge sensuelle d’une grande peinture religieuse classique où le mouvement comme le drapé glissent vers la jouissance.
Tout Mapplethorpe est présent à Naples, en ce trentième anniversaire de sa mort. Les corps magnifiés, bien sûr, ceux des modèles, danseurs, athlètes, body-builders… Mais les visages, aussi, dans une évocation par le portrait des proches de l’artiste, proches par l’amitié ou simplement par la participation commune aux fêtes de cette communauté créatrice new-yorkaise des années 1970-1980 qui avait reconnu dans le jeune photographe si beau un archange que rendaient encore plus séduisant les démoneries de ses nuits – un peu à la manière d’un Hervé Guibert à Paris. Plus on avance vers le coeur de l’exposition, plus Mapplethorpe est là, à travers ses spectaculaires autoportraits et ses oeuvres pornographiques. Tout comme il y avait (il y a encore ?) des recoins de Pompéi interdits aux jeunes visiteurs et qu’un gardien réserve aux seules « grandes personnes », tout comme déjà la rétrospective du Grand Palais avait inscrit dans son parcours un boudoir rouge et noir, il y a au Madre une « X Room » for adults only.
Le Mapplethorpe qui n’est pas à Naples n’est pas loin : une exposition-soeur vient d’ouvrir à Rome, à la Galerie Corsini, qui privilégie les célèbres natures mortes, dans le but d’exalter « le classicisme d’un contemporain radical ». Pendant ce temps apparaît sur les écrans américains (et bientôt sur les nôtres, on l’espère) un ambitieux portrait cinématographique de l’artiste, dont l’affiche semble indiquer qu’il ne s’embarrasse pas de pudeurs de jeunes filles quant au goût du héros pour le cuir et les clous. Matt Smith y incarne Mapplethorpe, après le forfait de James Franco, dont il avait été question au départ…
Au plus loin des sous-sols obscurs où se retrouvent les amateurs de SM, les salles du Madre, tout baigné de l’admirable lumière napolitaine, privilégient avec intelligence une scénographie épurée, qui magnifie la dimension d’épure des oeuvres si soigneusement pensées de Mapplethorpe. La présence des éphèbes gréco-romains aux côtés des sculpturaux amis et amants du photographe inscrit dans le temps long de l’histoire de l’art le legs d’un des plus grands créateurs du second XXe siècle. En une ville mythique dont la légende oscille entre douceur et violence, trouve ainsi son lieu d’élection un maître absolu du triomphe des corps, qui est aussi une star internationale des arts – une star dont la notoriété ne doit rien aux manipulations suspectes, mais tout à un génie dont on est reconnaissant aux Napolitains d’avoir si parfaitement montré l’évidence.
Robert Mapplethorpe, Phillip, 1979. © Robert Mapplethorpe Foundation. Used by permission.
Mapplethorpe : coreografia per una mostra – Naples, Madre – jusqu’au 8 avril.
Mapplethorpe : l’obiettivo sensibile – Rome, Galleria Corsini – jusqu’au 30 juin.
Photographie d’ouverture : Robert Mapplethorpe, Thomas and Dovanna, 1986. © Robert Mapplethorpe Foundation. Used by permission.