Douarnenez, posée au bord de son admirable baie tout au bout de la Bretagne, et même tout à la fin des terres, finis terrae, attire depuis longtemps les artistes. Les peintres y sont venus nombreux pour tenter de saisir les nuances infinies d’un paysage incomparable, vigoureusement humanisé par un port de pêche qui fut important, et plus encore toute la subtilité d’une lumière diaprée et changeante. Aujourd’hui, profitant de maisons rendues accessibles par une activité ralentie, les plasticiens s’installent volontiers en ce qui est en train de devenir une «ville d’art». Et les Douarnenistes ont la chance de pouvoir s’initier aux pratiques créatives dans un « Centre des arts » qui a réinvesti un vieux bâtiment d’enseignement. À côté des ateliers y a été aménagé un lieu d’exposition, permettant aux amateurs de confronter leur travail avec celui d’artistes confirmés – et même internationalement reconnus, dans le cas de Yann Kebbi, qui travaille à Paris mais a des attaches en Finistère et a posé ce printemps ses cartons à dessin au pays des penn-sardin.
Parmi les dessinateurs d’aujourd’hui, Kebbi est l’un des meilleurs, des plus vigoureux, des plus séduisants. La presse nationale et internationale ne s’y trompe pas, qui fait très régulièrement appel à son crayon. Amoureux de la dynamique urbaine, de son énergie, de ses foules, Kebbi ne pouvait que se sentir chez lui dans la ville par excellence, à New York. C’est New York qu’évoquent la plupart des dessins accrochés serrés au Centre des arts de Douarnenez. Foin du white cube, en effet : pour donner visuellement le sentiment de l’intense activité et du mouvement dense propres à la métropole américaine, on joue ici non sur la sacralisation de l’oeuvre unique, mais sur les effets de répétition ou de choc permis par l’abondance et la juxtaposition. Pas moins de 200 croquis sont exposés, de quoi faire réfléchir certaines galeries !
S’il excelle à l’occasion dans des noir et blanc puissants, Kebbi est plutôt un artiste de la couleur. Le jaune a de toute évidence sa préférence, infusant une étonnante tonicité à ses scènes de rue, s’apaisant parfois en scène de chambre. Un trait parfaitement maîtrisé, précis sous des allures improvisées, brosse très efficacement les innombrables silhouettes qui donnent vie à la grande cité. L’exposition montre d’ailleurs quelques portraits de plus grand format, qui manifestent le vrai talent de Kebbi en ce domaine. De la page de carnet noircie en hâte pour garder trace d’un bel instant à la grande composition dûment mûrie, la variété des formes rejoint la variété de l’inspiration. L’artiste se décide même à repasser l’Océan pour gratifier ses visiteurs bretons de plusieurs vues de leurs côtes, de leurs baies, de leurs barques. Ces instantanés marins sont de belles réussites ; ils captent aussi bien la gloire d’un jour de grand soleil que la somptuosité des « nuances de gris ». Les dames de Douarnenez (un type humain unique !) apprécient en connaisseuses, et ne sont pas plus dépaysées que cela par toutes ces images d’outre-Atlantique. Elles sont les veuves, les soeurs, les filles de marins qui chaque année, à la grande époque du port, prenaient la mer pour de longues expéditions de haute mer. On n’est pas casanier, au bout des terres. Yann Kebbi, sortant de son sac ses carnets de bourlingueur, a été accueilli en ami.
Cité des arts, 88 rue Louis Pasteur, Douarnenez – jusqu’au 24 mars.