Ce 31 janvier au soir, dans le cadre prestigieux de la salle Labrouste, au coeur de l’ancienne Bibliothèque nationale, l’Institut national d’histoire de l’art marquait la « Nuit des idées » en organisant une soirée de réflexion autour du thème très actuel des « restitutions » d’oeuvres africaines. Ayant suivi ce dossier depuis le début, nous avons voulu entendre ce qu’avaient à en dire les invités de l’INHA. On ne saurait parler de pleine réussite, en raison d’un programme à la fois trop chargé et trop fragmenté, qui n’a permis aux chercheuses et chercheurs présents qu’un assez bref exercice oratoire, sans les rebonds qui font le prix d’une véritable table ronde. Ce fut toutefois l’occasion d’envisager la question débattue des restitutions sur un ton à la fois plus serein et plus informé que lors d’affrontements médiatiques antérieurs.
Pour un auditeur très réservé quant à l’opportunité des cessions hâtives d’objets muséaux, le principal intérêt de cette « Nuit des idées » était de relever les critiques faites au rapport Savoy-Sarr et à ses usages politiques par des spécialistes qui sont (sauf erreur) tous favorables au principe des « restitutions ». Comme le disait une intervenante, on peut être « pour » avec des « mais » – et ces « mais » sont importants. De ce point de vue, le propos le plus décisif fut assurément celui d’Eric Jolly, historien de l’africanisme, soulignant combien les choix restitutionnistes ont été faits selon des critères qui ne sont pas ceux des Africains. Ont été retenues des pièces ayant d’abord connu un succès esthétique et culturel en Europe, où elles ont inspiré artistes et écrivains, avant de prendre, pour cela même, une valeur marchande considérable. Les masques dogons en constituent l’essentiel. Est-ce bien cela qui répondait aux besoins spécifiques des musées africains et, de façon plus diffuse, au désir des habitants des pays concernés ? On ne le saura pas, puisque l’enquête n’a pas été menée.
Il n’est donc pas abusif de dire que le restitutionnisme n’aide pas à sortir d’un schéma de supériorité implicite : « nous savons ce dont vous avez besoin ». On aurait d’ailleurs aimé entendre davantage, dans la salle Labrouste, la parole des spécialistes africains. Seul un universitaire béninois était présent, et le temps qui lui était imparti n’a pas permis de bien comprendre les motifs précis de son enthousiasme. Très précieux, en revanche, furent les éclairages latéraux donnés, en fin de soirée, par des expériences relatives à d’autres terrains extra-européens, Alaska, Guyane et Irak. La « vignette » de Valentina Kapnarsky sur son travail avec les Indiens de Guyane mettait fort bien en lumière la grande différence de statut des objets selon que l’on se place du point de vue muséal ou du point de vue des « usagers » traditionnels. Pour ces derniers, la logique de conservation à l’identique apparaît inintelligible : pourquoi fossiliser des pièces vivantes ? « Puisque cette coiffe est à Paris, rajeunissez-la avec des plumes de pigeon ! »
Ainsi, les problèmes innombrables qui garnissent la boite de Pandore hâtivement ouverte donnent à la fois raison et tort au collectionneur Antoine de Galbert, qui a plaidé pour une décision politique dans cette affaire. Politique, la question des restitutions l’est assurément. Elle vise une histoire partagée souvent violente, dont les plaies ne sont pas refermées. Elle conditionne en partie les échanges inter-continentaux au présent. Cela n’implique pas pour autant qu’on laisse le champ libre aux politiques, a fortiori dans la situation inédite que nous connaissons, où le discrédit de la classe politicienne atteint des sommets. La précipitation inhérente à l’électoralisme est ici un poison. La communauté scientifique, en défendant le temps de la réflexion et en faisant prévaloir l’exigence de l’analyse critique, doit avoir le dernier mot – qui ne sera pas une réponse fermée, mais un appel au dialogue. Comme le soulignait l’anthropologue Anne-Christine Taylor, ce qui manque toujours en ces matières est un vrai dialogue entre les héritiers des traditions africaines et les institutions culturelles européennes. Le mener en vérité, en refusant obstinément l’agenda mortifère de la « Françafrique », ferait émerger les solutions respectueuses et pragmatiques qui seules feront consensus. On peut remercier l’INHA d’avoir rappelé cette exigence.