Le Musée de l’Homme organise deux expositions pour sa nouvelle saison intitulée En droits et mettant en avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Deux expositions pour sensibiliser le public à la fragilité de ces droits, encore tant bafoués dans le monde entier…
Après les Déclarations de Sebastiao Salgado, une exposition de photographies à admirer jusqu’au 30 juin et mettant en lumière une vingtaine de pays qui négligent les Droits de l’Homme (et la France en fait partie), le Musée de l’Homme propose deux autres événements liés à sa saison En droits. Deux expositions diamétralement opposées, mais qui se rejoignent pourtant, car l’homme en est au cœur. Un homme privé de ses droits essentiels. Et pour faire passer le message, quoi de mieux que l’art ?
Exposition J’ai le droit d’avoir des droits ! Le 10 décembre 1948, au Palais de Chaillot, juste à côté du Musée de l’Homme, était signée la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. 70 ans plus tard, elle s’apprête à être remise en valeur dans les mêmes lieux, avec ces deux expositions, dont la première, J’ai le droit d’avoir des droits ! est située au premier étage du musée. « Nous voulions mettre en valeur et revisiter cette déclaration avec des street artistes engagés, aux œuvres créées sous forme de performances devant le public », explique André Delpuech, directeur du musée. Et parmi ces artistes, certains ont expliqué leur démarche, comme l’illustrateur et graphiste Dugudus à qui l’on doit la signalétique de l’exposition, ainsi que l’affiche. « On m’a contacté six mois avant l’événement. Il fallait une signalétique qui évolue et que le public puisse voir l’exposition se mettre en place, semaine après semaine. Pour l’affiche, c’était un gros challenge pour moi, car la Déclaration de 1948 n’a jamais été illustrée, alors que l’on a en tête celle de 1789. Après plusieurs essais, j’ai fini par revenir sur l’image universelle de la colombe, dont les ailes représentent des mains ouvertes ».
Quant à la scénographe et comédienne Madame dont le grand-père a été déporté à Dachau, elle a illustré l’article 5, contre la torture notamment. « J’ai voulu instaurer un dialogue avec l’espace où j’interviens, avec un travail qui va de l’intime au collectif. La lecture de mon œuvre est volontairement contraignante, il faut mettre la tête à l’intérieur de la cage pour lire la suite du texte de l’article 5. C’est une pièce à tiroirs, un dialogue entre le texte et l’image, à l’interprétation multiple ».
Pour Lek et Sowat, le contact a eu lieu il y a un an et le duo a choisi d’illustrer le 1er article de la Déclaration. « C’est le plus ambitieux, il nous questionne le plus ». Tout a été préparé sur place, avec du scotch, des lettres adhésives et découpées, des lignes graphiques bleues et rouges, afin de défragmenter le drapeau français. L’article est ainsi déstructuré pour montrer sa fragilité. « Nous avons également transformé le mot « égaux » au profit de « égo ». L’actualité nous a rattrapés pendant l’installation, avec le mouvement des Gilets Jaunes. Du coup, nous avons empiété sur le marbre de la salle, pour rappeler les dégradations actuelles ».
Autre duo, Zag et Sia, qui a peint sur l’escalier menant au deuxième étage avec un support particulier (en collaboration avec Plasti’Graff), une matière adhésive et transparente, permettant d’intervenir sur les monuments sans les dégrader. C’est l’article 25 qui a été choisi. « Nous voulions un des éléments du « Radeau de la Méduse », en focalisant sur le personnage central. La peinture a été réalisée durant un week end, sans technique de projection, en dénaturant notre maquette originale ».
Parmi les autres artistes, Dénis Mayer et l’article 26, un travail réalisé le 10 février dernier devant le public, avec des plaques en bois recouvertes de pages d’encyclopédies, de graffitis et de collages. Pour Goin, ce fut l’article 18 qui l’a inspiré, avec une œuvre à suivre en deux temps : une allusion au Penseur de Rodin, avec une toile au pochoir. Le visage est enfoui sous un foulard rouge qui évoque le bonnet phrygien, car le personnage ne peut plus penser par lui-même. Mais quand il ose enfin le faire, il s’est débarrassé de son foulard et il a disparu. La révolution s’est faite en lui. Enfin, pour Swoon, artiste américaine travaillant avec des minorités aux USA, il s’agit ici d’un prêt d’une œuvre déjà existante et illustrant l’article 23 sur le droit du travail. Elle prône en effet un salaire égal pour un travail égal. L’artiste est tout de même venue retravailler son œuvre sur place, en lui donnant des rehaussements de bleus.
Une exposition à voir jusqu’au 30 juin 2019.
Exposition Tromelin, l’île des esclaves oubliés. Au deuxième étage, l’exposition consacrée à l’île Tromelin, illustre l’article 4 de la Déclaration. Elle revient sur un passage particulièrement dramatique de notre histoire. Celle de l’expédition de l’Utile en 1761, chargé de 160 esclaves clandestins. Il fit naufrage sur un îlot sans végétation à l’époque et battu par les vents, l’île de Sable. La moitié de l’équipage et des esclaves périt. Mais pendant deux mois, une embarcation de fortune se construit avec les vestiges du vaisseau. Et l’équipage abandonna les esclaves survivants, avec la promesse de venir les chercher. 15 ans après, le commandant Tromelin vient enfin à leur secours, mais il n’y a plus que huit survivants : sept femmes et un bébé…
Dans la première salle, c’est le contexte historique qui est présenté, avec archives de la Compagnie des Indes auquel appartenait l’Utile, éléments de la Guerre de Sept Ans, documents liés à la traversée et au navire, un tableau de Joseph Vernet qui était à Bayonne quand l’Utile était armé…
Dans la deuxième salle, les archéologues ont trouvé des vestiges de la vie des naufragés pendant 15 ans. Une archéologie de l’invisible suscitant une vive émotion, comme si on leur donnait enfin la parole. On peut ainsi découvrir des restes de l’épave reconstitués, des retranscriptions de ce qu’ils ont pu manger sur place (oiseaux, tortues, poissons…). Les archéologues ont aussi pu retrouver certains gestes utilisés : plumes d’oiseaux qui ont servi pour du tissage, plaques de cuisson rudimentaires, os qui servaient à faire des objets ou des outils, hameçons, briquet de l’époque pour faire du feu. « On voit les étapes de la chaîne opérative pour créer sur place les objets. Il y a également des confections de bijoux, de bracelets, signes d’une vie sociale. Et nous avons placé une maquette de l’endroit où ils ont vécu, avec des constructions en pierre, grès de sable ou coraux », explique André Delpuech.
Dans la troisième salle, on revient sur le sauvetage proprement dit, qui a mis plus de 15 ans à ce faire, ainsi que les références à cette histoire dans l’art, que ce soit à travers des œuvres de Condorcet ou le fameux Radeau de la Méduse de Géricault. Seulement 10% de l’île ont été fouillés à ce jour et cette exposition donne envie d’en savoir bien davantage…
Une exposition qui se termine le 3 juin prochain.