La galerie Templon présente jusqu’au 9 mars une exposition intitulée Daniel Dezeuze, sous un certain angle. Elle propose un ensemble d’œuvres conçues par l’artiste entre les années 1970 et aujourd’hui, l’occasion de se plonger dans la pratique de cet artiste qui n’a cessé de penser la place de la peinture.
C’est à la fin de l’année 1970 que Daniel Dezeuze se fait connaître. Il est l’un des fondateurs du groupe « support/surface » qui, au moment de sa création, compte parmi ses membres Dolla, Bioulès, Valensi, Saytour, Cane et Viallat. Grant, Pincemin, Arnal et Pagès les rejoignent l’année suivante. Bien que se revendiquant d’idéologies diverses, ces artistes sont animés par une même approche de la pratique artistique : ils veulent remettre en question les supports, les méthodes et les techniques de la peinture. Portés par l’idée d’« avant-garde » très en vogue à l’époque, ils se constituent en groupe pour imposer leur vision et, comme le dit Daniel Dezeuze dans un entretien à Art Press en janvier 1991, « […] on peut dire que support(s) surface(s) a été la dernière avant-garde, dans le sens où il y avait dans ce groupe une certaine utopie que l’on ne retrouvera plus par la suite ». Ce groupe s’oppose aux pratiques qui le précèdent, en particulier à l’absence de touche et de couleur de l’art minimal, aux environnements créés par l’arte povera et à l’art conceptuel. Ils se révoltent aussi contre les alternatives à ces mouvements : l’approche scientiste de l’art cinétique, l’absence de picturalité du groupe BMPT (Buren, Mosset, Parmentier et Toroni) et la peinture figurative et militante de la « Jeune Peinture ». Selon eux, ces nouvelles pratiques ne servent pas la cause de la peinture. Car si dans le contexte des années post 68, « support/surface » se révolte contre le monde de l’art, le groupe ne souhaite pas pour autant verser dans l’anti-art. À une époque où la peinture est largement décriée, ils veulent repenser ses fonctions politiques et économiques sans renoncer à la pratique.
Daniel Dezeuze est le premier, parmi les membres du groupe « support/surface », à découvrir l’art américain. En 1965, alors qu’il effectue son service militaire au Canada, il se rend à New-York pour visiter les galeries et les musées. Le contact avec l’abstraction américaine lui apprend beaucoup sur le formalisme tandis qu’il retient de Marcel Duchamp une certaine idée de la désacralisation de l’art. C’est à son retour à Paris en 1967, à l’âge de 25 ans, qu’il conçoit son premier châssis sans toile intitulé Châssis avec feuille de plastique tendue. Ce châssis recouvert d’une feuille de plastique transparente est appuyé contre le mur et non accroché au mur comme un tableau traditionnel. Débarrassé de la toile, le tableau intègre le vide de l’espace environnant et répond ainsi à la tradition moderniste. Quant à sa disposition à même le sol, elle traduit le refus du fétichisme propre aux œuvres de Duchamp. Si, par la suite, Daniel Dezeuze expérimente une grande variété de techniques et de matériaux, cet adepte de Lucio Fontana reste attaché à la question « comment dépasser le tableau-objet sans renoncer à la peinture ? » Dans ce même entretien donné à Art Press, il dit : « Le fétichisme est quelque chose qui se déplace sans arrêt. La question est de savoir si on l’ignore ou si on l’aborde frontalement et si on en joue. » À mi-chemin entre peinture et sculpture, les œuvres présentées dans cette exposition oscillent entre ces deux positions. Ainsi, l’œuvre intitulée Saveur de la géométrie (2017) se présente comme l’arrière d’un châssis sur lequel l’artiste a collé deux équerres. Si les angles du châssis sont rehaussés de couleur bleue, l’esthétique de cette œuvre relève du bricolage ; la mise à nu de la peinture qu’elle constitue témoigne d’un refus net de la fétichisation des œuvres. À l’inverse, la structure intitulée Le stade du miroir (1969-2016) qui reprend la forme d’un châssis est réalisée en miroir. C’est une pièce plus précieuse qui a dû nécessiter l’intervention de spécialistes et qui doit susciter de nombreux selfies à l’intérieur de la galerie. Elle assume pleinement l’admiration dont elle peut faire l’objet.
De manière générale, la remise en cause du tableau-objet qui a été le propre de l’œuvre de Daniel Dezeuze se fait plus discrète dans ses dernières créations, ce que montre notamment le choix des titres. Ainsi, l’œuvre en bois intitulée En vérité (2018) présente des ressemblances formelles avec l’œuvre Rouleau de bois teinté créée en 1975 mais le titre plus énigmatique ne permet pas la même lecture. En ce sens, on comprend le parallèle effectué par la galerie qui présente également des dessins de la série Lascaux (1983-1984). Ceux-ci témoignent d’une tentative d’interroger la peinture mais d’une manière plus sensible, moins conceptuelle, en s’inspirant des premières qui furent faites. À notre époque où les œuvres peintes ont su regagner leur légitimité en dépit de la multiplication des écrans et des images, ces pièces sont sans doute les plus intéressantes de cette exposition. Elles englobent le champ de la peinture, revoient à son histoire comme à sa fabrication, mais de façon plus poétique que théorique.