Acquérir des multiples

Acquérir des multiples
Luciano Castelli, "Self Portrait (Silver Version)", lithographie, 2018.
Marché

Si le marché de l’art contemporain se porte bien, les prix de la plupart des œuvres sont inabordables au plus grand nombre. C’est ce qu’ont compris les galeries spécialisées dans le multiple qui éditent en plusieurs exemplaires des estampes, des livres d’artiste mais aussi des objets originaux afin de les rendre accessibles à un public plus large.

La France, comparée aux États-Unis où les marchands spécialisés sont nombreux, est en retard dans le domaine du multiple. Cela s’explique par les histoires différentes de ces deux pays. Alors qu’aux États-Unis l’estampe est associée aux plus grands artistes du pop art qui pour certains en ont fait leur marque de fabrique, qu’elle est en quelque sorte un symbole de la modernité, elle est considérée en France comme une technique ancienne, uniquement appréciée par les amateurs d’antiquité.

Pourtant, nombre de jeunes artistes de notre époque utilisent cette technique en début de leur carrière et y restent fidèles par la suite. Ils considèrent le multiple comme une œuvre d’art à part entière et non comme un produit dérivé d’un projet plus conséquent et ils portent une attention considérable au processus de production pour créer des objets à la qualité irréprochable. Les grandes galeries suivent le mouvement à l’image de Marian Goodman dont l’espace librairie propose des éditions limitées de livres et d’objets en tout genre. Le marché s’amplifie chaque année et l’œuvre contemporaine en plusieurs exemplaires gagne maintenant les maisons de ventes. En découle l’apparition de lieux spécialisés en sérigraphie ou lithographie d’artistes.

Ainsi, la maison d’édition indépendante Michèle Didier, fondée à Bruxelles en 1987 et spécialisée dans la production d’œuvres originales d’artistes contemporains, possède un espace d’exposition du même nom dans le 3e arrondissement de Paris. La galerie propose des objets numérotés et signés quand d’autres sont simplement numérotés. Même si les prix varient, tous ces objets ont été conçus par des artistes. Également située dans le 3e arrondissement, la galerie de Multiples (GDM) est elle aussi éditeur et diffuseur. Elle possède un studio de création graphique dans lequel les artistes peuvent s’essayer à différentes techniques et édite aussi bien des œuvres sur papier que des céramiques ou des sculptures. En plus de son espace d’exposition, elle participe à de nombreuses foires internationales telles que la FIAC, Art Basel ou encore Art Brussels afin de faire connaître ses œuvres multiples au plus grand nombre. Le site affiche son ambition : « participer à l’accessibilité de l’art contemporain sans le vulgariser, par la production et la diffusion d’œuvres originales multiples exigeantes ».

C’est également l’engagement du site web melpublisher.com qui édite et vend des œuvres d’art en ligne. Créée il y a quatre ans par Michel-Édouard Leclerc, la maison a pour but de promouvoir et de rendre accessible les œuvres d’artistes contemporains reconnus sur la scène internationale. Elle produit ses éditions en estampes dans des ateliers historiques (l’atelier Clot, Bramsen & Georges ou encore l’atelier Jérôme Arcay). Bien que les papiers et encres soient de qualité égale, les prix peuvent être différents ainsi l’amateur devra débourser 250 euros pour se procurer une lithographie limitée à 35 exemplaires de Thomas Ott ou 3 000 euros pour un tirage numérique rehaussé de trois passages en sérigraphie couleurs édité à 25 exemplaires de Pierre & Gilles. Uniquement en ligne mais participant à de nombreuses foires (il avait notamment un stand au salon Galeristes en novembre dernier), le site Wedonotworkalone.fr propose, pour sa part, une gamme d’objets plus variés (accessoires de mode ou de décoration) oscillant entre objets conceptuels et design.

Qu’ils soient vendus en galeries ou sur des sites spécialisés, les multiples ont l’avantage d’être abordables (le rapport de prix entre un dessin et une estampe est souvent de 1 à 10). Si le milieu de l’art est encore très attaché à la notion d’unicité de l’œuvre, l’idée se répand qu’il est préférable de posséder une œuvre tirée à peu d’exemplaires, de bonne qualité et emblématique de l’univers d’un artiste plutôt qu’une œuvre unique mais mineure, non représentative de l’ensemble de son travail. C’est pourquoi il ne faut pas trop attendre pour investir ; à titre d’exemple, les plus petites estampes de Pierre Soulages vendues autour de 1 000 euros il y a quelques années atteignent maintenant les 10 000 euros.