Jusqu’au 20 mai prochain, le musée national Jean-Jacques Henner propose une exposition étonnante consacrée à la chevelure rousse, que ce soit dans les oeuvres du célèbre peintre, celles de ses contemporains, ou plus étonnant, dans le travail de la couturière Sonia Rykiel. Soyez les bienvenus à Roux !, quelle que soit votre couleur de cheveux !
Pour qui s’est déjà penché sur les peintures de Jean-Jacques Henner, célèbre portraitiste du 19e siècle, il est un détail qui a toute son importance. Un détail qui saute aux yeux : la plupart de ses tableaux représentent des femmes rousses. Pourquoi ? Le mystère demeure. Et l’exposition Roux ! située dans son musée, va tenter de donner des éléments de réponse, même si tout reste encore sujet à interprétation. Car l’homme n’a jamais expliqué cette passion pour cette couleur de cheveux. Dans ses entretiens, rien n’y transparaît. Dans son entourage proche, aucun homme ou femme à la chevelure cuivrée. Et si cela étonne encore de nos jours, c’est parce que la rousseur conserve un caractère sulfureux qu’on lui prête depuis bien des siècles : les hommes roux sont forcément mauvais ou lâches et les femmes rousses, sensuelles et vénéneuses. Et cette exposition de le démontrer, s’il le fallait encore…
Henner et ses contemporains. « Pour préparer cet événement, on a revu toute l’œuvre de Jean-Jacques Henner, où la rousseur est donc partie prenante. On s’est aperçu que cette thématique était presque totalement absence de l’histoire de l’art. C’est très rarement abordé, encore à notre époque », explique Claire Bessède, conservateur du musée. Né en 1829, rendu célèbre par le tableau L’Alsace, Jean-Jacques Henner attendra 1872 pour peindre sa première rousse. C’est donc tout naturellement que l’exposition s’ouvre au rez-de-chaussée sur le tableau en question, Idylle, inspiré d’une œuvre du Titien, Concert champêtre. Henner avait-il été influencé par Manet et Degas qu’il fréquentait alors beaucoup et qui peignaient déjà de leurs côtés, des femmes rousses ? La question se pose. A moins que la réponse ne soit plus terre à terre.
Tout serait dans la chromatique. « Les tableaux de Henner étant plutôt sombres, il semblerait qu’il ait voulu garder la nudité des deux personnages féminins et la rehausser d’une touche de couleur, en leur conférant une chevelure rousse, afin de créer un contraste », détaille Claire Bessède. Dès lors, Henner ne peindra plus que des rousses, même si ses modèles de base étaient blondes ou brunes. Et dans les rares peintures n’en représentant pas, les femmes portent alors un voile rouge, autre version de la chevelure de feu. « C’était une couleur de cheveux qui était victime de beaucoup de préjugés. Aussi, quand un artiste la choisissait pour ses tableaux, ce n’était jamais anodin ». Peu à peu, le roux est devenu la signature de Henner et le rendit célèbre (avec également son lot de détracteurs). Le roux lui servait à illuminer ses tableaux ou à renforcer la sensualité de certaines toiles, comme La Liseuse. « La chevelure rousse est comme un point d’exclamation dans sa peinture ».
Mais dans cette première salle, on retrouve également en regard des tableaux composés d’autres femmes rousses (parfois peu vêtues), reflets de la popularité de cette couleur de cheveux à l’époque. Ils sont signés Renoir, Carolus-Duran, Edgard Maxence, ou Charles Maurin.
Henner, le sacré et la culture populaire. Au premier étage, on retrouve certains des tableaux qui ont rendu Henner célèbre, mais il prête son espace de création à d’autres artistes qui rendent hommage, à leur manière, à la couleur rousse. La couturière Sonia Rykiel dont la chevelure rouge a revêtu une importance capitale dans son travail, en en faisant une force et une signature, est en effet présente, à travers trois créations réalisées en son honneur, notamment une de Jean-Paul Gaultier. Sur leur droite, des masques tatanua (servant pour des cérémonies et prêtés par le Musée du Quai Branly), arborant une crête rousse, en provenance de Nouvelle-Guinée et de Papouasie. Sans oublier des tableaux de chefs indiens à coiffes rousses, signés George Catlin.
Au deuxième étage, Sonia Rykiel est de retour, à travers des dessins de créateurs (Jean-Paul Gaultier, encore lui, mais aussi Jean-Charles de Castelbajac et Martin Margiela), faisant face à des dessins et esquisses de Henner où le rouge-orangé des cheveux de ses personnages bibliques (Judith, Eve et même le Christ) leur confère un regard singulier. Autre caractéristique du maître, il peint les femmes les cheveux détachés, comme des nymphes. Des nymphes rousses, donc sensuelles en diable…
A ce même étage, une salle garnie de marionnettes et de héros de la culture populaire aux cheveux roux, de Tintin à la famille Weasley de la saga Harry Potter, de Fifi Brindacier à Poil de Carotte, d’Obélix à Bill dans Boule et Bill, de Peter Pan à la Petite Sirène de Disney. Ces illustres personnages de fiction font face à un portrait de David Bowie et des publicités datant du 19e siècle, où l’incendiaire Sarah Bernhardt faisait l’article en égérie et mettant en avant sa chevelure rousse.
Enfin, au troisième étage, on retrouve les fameux Christ roux de Jean-Jacques Henner, même si cette représentation, plutôt propre à Judas habituellement, a déjà été utilisée par d’autres maîtres, tels que Manet et Gauguin. Bien plus qu’une signature, Henner a fait de cette obsession de la couleur rousse un code couleur indémodable. Cela valait bien une exposition.