Hélène Zidi et sa fille Lola, interprètent toutes deux Camille Claudel à deux âges différents, dans le spectacle Camille contre Claudel, écrit et mis en scène par Hélène Zidi. Une pièce fascinante qui a déjà fait les beaux jours d’Avignon depuis trois festivals, qui affiche complet à Paris et qui va reprendre à partir du 10 janvier. Rencontre avec la comédienne, qui nous livre quelques secrets sur la sculptrice la plus représentée au cinéma et sur scène…
Pourquoi ce spectacle autour de Camille Claudel ?
Hélène Zidi : C’est une artiste que j’admire depuis très longtemps, parce que c’est une femme qui avait un talent extraordinaire, que ce soit au niveau de ses sculptures ou sa manière de se comporter à l’époque, dans un monde d’hommes assez misogynes, tout en faisant un métier d’homme. Au-delà de son talent, j’aime son approche sur le réalisme des corps,des muscles, des vertèbres, sa manière de travailler totalement authentique -comme le faisait aussi Rodin, d’ailleurs- sa persévérance, son sens inné de la liberté, de l’indépendance et sa manière d’être en accord total avec ce qu’elle pensait et ce qu’elle racontait à travers ses oeuvres.
C’est un spectacle que vous portez depuis longtemps…
HZ : Il affiche complet depuis trois ans au festival off d’Avignon et on le joue désormais à Paris, au théâtre du Roi René, antenne du même nom du lieu d’Avignon où il a été créé. On est très heureuses, car ça marche très fort. On prolonge d’ailleurs début 2019.
En quoi Camille Claudel est-elle une figure théâtrale, selon vous ?
HZ : Car elle fait partie de ces personnages extrêmement romanesques… C’était un génie et elle a vécu des choses hors du commun, en dehors des normes de la société de l’époque. Son destin, sa manière d’aimer son art et l’amour, sont fascinants. Elle pourrait être de notre siècle et donner des leçons aux femmes d’aujourd’hui, car elle s’est battue jusqu’au bout, avec un acharnement, une passion dévorante, une énergie incroyable et on ne lui dictait jamais ce qu’il fallait faire. Elle prenait les choses en main et était d’une grande intégrité dans son art et dans sa vie privée.
Le parti pris du spectacle est finalement de voir une Camille Claudel âgée, internée, qui essaie de communiquer avec Camille Claudel jeune, pour lui dire de ne pas commettre certaines erreurs…
HZ : Oui, absolument. J’ai voulu jouer le mimétisme et j’ai la chance d’avoir ma fille pour partenaire, d’autant qu’elle me ressemble beaucoup, ce qui crée une grande magie sur le plateau. On finit par ne plus savoir qui est l’une et qui est l’autre, car la vieille Camille qui est enfermée depuis plus de 30 ans, à l’aube de sa mort, se revoit à l’âge de 20 ans.Elle va rajeunir jusqu’à l’âge de 49 ans, soit l’âge où elle a été enfermée et la jeune de 20 ans, avec tous ses espoirs, sa gaieté, sa fraîcheur, va finalement se retrouver enfermée avec elle…
Comment vous-êtes vous documentée ?
HZ : J’ai fait un an de recherches pour pouvoir écrire cette pièce, mais une fois que j’avais tous les éléments, je l’ai écrite très rapidement. Il me manquait juste l’angle d’attaque. Depuis, je suis en contact direct avec Reine-Marie Paris, la petite-nièce de Camille Claudel, qui avait fait redécouvrir Camille et permis au film de Bruno Nuytten de voir le jour. C’est elle qui s’était battue à l’époque pour la faire reconnaître. Elle est venue nous voir à la deuxième représentation, au festival d’Avignon, il y a trois ans. Elle a adoré le spectacle et nous a même confié avoir découvert des choses sur sa tante qu’elle ignorait encore. Cela nous a rendues très heureuses !
Qu’aviez-vous découvert sur Camille ?
HZ : Je ne me suis pas contentée de rester sur ce qu’on savait déjà d’elle. Je suis partie beaucoup plus loin. J’ai ainsi découvert qu’elle avait non seulement fait des avortements, mais aussi deux abandons de bébés, en Touraine, dans une famille. Personne ne le savait, ça a beaucoup surpris. Ce qui n’est guère étonnant, finalement, de la part d’une passion dévorante entre deux sculpteurs qui sont toujours en proie au toucher, à la matière, à l’esthétique et qui s’aimaient d’un amour fou. Il y a donc, peut-être, quelque part, des descendants directs de Camille Claudel et Auguste Rodin…
Pourquoi existe-t-il autant de spectacles autour de Camille Claudel ?
HZ : Cela doit tenir de son côté complètement unique. Cette femme est un emblème pour moi, elle a eu un destin exceptionnel qui donne envie de le mettre en scène. C’est le tragique de sa vie qui fascine, aussi. Tout lui souriait et finalement, c’est un mauvais concours de circonstances qui a fait qu’elle est partie dans les ténèbres. Le fait qu’elle était issue d’une famille très conservatrice, qu’il y avait deux génies dans la famille, ce qui est finalement extrêmement rare…
Le spectacle mêle aussi la danse. Pourquoi ce choix ?
HZ : J’ai voulu recréer toute cette sensualité. A travers les chorégraphies, mais aussi des sculptures, réalisées par Francesco Passaniti, un très grand sculpteur et plasticien italien, qui m’a fait des épreuves des statues de Camille et un buste magnifique de Rodin.
On entend également la voix de Gérard Depardieu, lisant des lettres de Rodin. Un clin d’oeil au film de Bruno Nuytten ?
HZ : Il avait marqué le rôle de Rodin tellement fort dans ce film, que je ne voyais personne d’autre que lui pour lire ces lettres. Il a accepté sans contrepartie quand il a lu le dossier que je lui avais présenté et j’ai trouvé ça très généreux de sa part. Cela donne une dimension encore plus forte et émouvante au spectacle.
Camille n’a plus jamais créé dès son internement. Comprenez-vous ce geste, vous qui êtes également une créatrice ?
HZ : Elle était tellement cassée, pillée, on lui avait tellement volé son art, que je peux comprendre qu’elle ait décidé de ne plus toucher de la matière, tant qu’elle serait enfermée. Une manière de se révolter, quelque part. C’était une révoltée d’instinct. Vous savez, si on n’a pas de retour, dans l’art, on se tarit, car il n’y a plus d’inspiration. Pour que les gens aient envie de créer dans la vie, il faut les alimenter un peu. Pour donner le meilleur de soi-même, il faut être dans des conditions favorables, avoir de la reconnaissance…
Quelles oeuvres de Camille Claudel vous touchent le plus ?
La Valse m’émeut complètement, La Petite châtelaine, La Vieille Hélène, L’Implorente… Il faut absolument aller au musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine : il est superbe !
Pensez-vous que l’on ait tout dit sur elle ?
Je pense que l’on peut encore découvrir bien des choses, notamment à travers ce frère et cette soeur qu’elle a abandonnés. Ce serait un coup de théâtre incroyable !
Reprise du spectacle à partir du 10 janvier, du jeudi au samedi à partir de 20h, au Théâtre du Roi René Paris, 12 rue Edouard Lockroy, 75011 Paris.