Marcheschi est de retour à Toulouse pour une ambitieuse exposition aux allures de rétrospective, abritée par le Musée Paul-Dupuy. « De retour » car l’artiste entretient des liens privilégiés avec la métropole méridionale : outre des décors éphémères pour le ballet du Capitole, il est l’auteur de la « Voie lactée » qui depuis dix ans sert de voûte à la station de métro « Carmes ». Ce simple nom topographique a évoqué pour Marcheschi La Nuit obscure, source d’inspiration du programme : une oeuvre sanjuaniste exigeante dans le métro, voilà qui situe la démarche ! L’art de Marcheschi se plaît au contact d’un large public, mais ne cède pas aux sirènes de la facilité. Les écrivains ne s’y trompent pas. Il est impressionnant de dresser la liste de tous ceux qui ont écrit sur, pour, avec Marcheschi : Jacqueline Risset, consoeur en dantophilie et dantologie, Jacques Roubaud, Dominique Noguez, Gabriel Matzneff, qui voit en l’artiste « un moderne Benvenuto Cellini », et surtout, au plus intime sans doute, Pascal Quignard. Le rêveur de nuit et d’aube des Petits traités ne pouvait que se reconnaître dans des nocturnes peuplés de torches et de flambeaux – que goûter, aussi, une souveraine indifférence aux modes et aux tendances. Comme le note superbement François Barré, « Marcheschi n’est d’aucun courant, il est le fleuve».
Dans cette Genèse, point de doute : au commencement était le Noir. Mais la ressemblance avec Soulages s’arrête là. Car le noir de Marcheschi est sans cesse traversé, zébré. Il est le lieu de l’éclair, du surgissement. Et comme l’origine relève toujours du mystère, les ressorts techniques des créations de Marcheschi demeurent aussi largement mystérieux ; on sait qu’il travaille au flambeau, que les matières de feu, la suie, la cire, sont au coeur du processus, mais le modus operandi est si peu banal qu’on ne se le représente que partiellement. C’est très bien ainsi : les images émergent, surgies d’un atelier qu’on imagine un peu semblable à la forge de Vulcain, et elles imposent leur évidence au regard.
Si l’artiste entend donner à voir « les rayons noirs de l’univers », il rejoint la très longue lignée de ceux qui font dialoguer le macrocosme et le microcosme. Dans ses panoramas cosmiques, on distingue à la fois un monde et un oeil. Ses oeuvres les plus récentes portent pour titre « Le fond de l’univers » – et ce fond de l’univers a aussi quelque chose d’un fond de l’oeil. Mais ce qui frappe, chez Marcheschi, c’est l’alliance permanente entre l’image dans son immédiateté oraculaire et le Verbe. De ce point de vue, l’oeuvre est théologique, en ce qu’elle explore les potentialités, suggérées mais non épuisées par deux millénaires de christianisme, entre vera icona et Verbe incarné. Au confluent de l’image et du Verbe, il y a le Livre, dont on sent que l’achèvement parfait, pour Marcheschi, est la Commedia. Les mots s’inscrivent alors dans la matière, jusqu’à l’envahir par plages, comme dans les grands panneaux des « Morsures de l’aube ».
Ironie de l’histoire : ces « Morsures » sont des oeuvres claires, comme sont clairs les « Paradis ». Le noir n’a pas toujours le dernier mot, chez Marcheschi. Il est le lieu de toutes les genèses et de toutes les apocalypses. Mais en son coeur filtre un rayon d’or : celui de l’amor che move il sole e l’altre stelle.
Jean-Paul Marcheschi : l’Alphabet des astres – Musée Paul-Dupuy, Toulouse – jusqu’au 31 mars 2019. L’exposition est accompagnée d’un bel album publié par les éditions Art 3 Plessis (26 e.).