Jean Valnoir Simoulin est graphiste, plasticien et illustrateur. Il travaille régulièrement dans le milieu de la musique plutôt sombre et a toujours été attiré par l’exploration de ce qu’il y a de plus tourmenté dans l’âme humaine. C’est pourquoi les régimes totalitaires ont fait partie de ses intérêts d’exploration et quoi de mieux que la Corée du Nord pour alimenter sa curiosité. Après plusieurs voyages dans l’un des pays les plus difficiles d’accès au monde, sont nés livres et documentaires qui donnent une vision inédite de la conception de l’art en Corée du Nord…
Comment êtes-vous parvenu à vous rendre dans ce pays ?
Jean Valnoir Simoulin : Pour moi, la Corée du Nord est la fin du voyage en termes de totalitarisme au 21e siècle dans le monde et ça m’a toujours fasciné vu de l’extérieur. En 2012, j’ai participé à une exposition en Norvège, Gewalt kunst Wert, qui portait sur l’art total ancré sur la notion de violence. Un des artistes présents, Morten Traavik, qui est un réalisateur et diplomate culturel norvégien, avait déjà installé un programme d’échange culturel avec la Corée du Nord, via le Comité pour les Relations Culturelles Internationales de République démocratique de Corée du Nord. Il m’a invité à le rejoindre sur un de ses projets et je suis devenu son artiste visuel. J’ai travaillé sur une dizaine de projets avec lui, trois directement en Corée du Nord et les autres en Norvège, avec la présence d’une délégation nord-coréenne.
Parmi ces expériences, la plus incroyable reste le concert du groupe Laibach à Pyongyang de 2015 que vous avez relayé dans le beau livre Liberation Days, Laibach and North Korea…
JVS : C’était en effet le tout premier concert de rock organisé en Corée du Nord, qui a eu lieu les 19 et 20 août 2015, en écho au Liberation Day, la fête du pays qui commémore son indépendance avec le Japon. Et le plus fou justement, c’est que cela s’est fait avec le groupe Laibach, avec qui je travaille depuis longtemps. Morten Traavik était fan du groupe et je les ai mis en relation pour organiser quelque chose en Corée du Nord. Ce fut deux ans de négociations, car le groupe a pour habitude de singer les propos totalitaires dans leurs chansons. C’est un des groupes référence de Rammstein, par exemple. Ce n’était donc pas le groupe le plus évident à emmener là-bas, même si je trouve que c’était le plus approprié. La première partie du livre retrace l’avant-concert, la seconde, pendant ce dernier et la dernière partie, sur le documentaire qu’on a fait dessus, Liberation day, qui vient de sortir en Bluray.
Comment les Nord-Coréens ont-ils perçu leur musique ?
JVS : Le challenge était pour le groupe était surtout d’adapter leur set-list et de reprendre des morceaux nord-coréens sans trop les interpréter. Mais le concert a été très bien reçu. C’était un vrai effort de diplomatie culturelle. Soit les gens ont trouvé cela bizarre, soit ils ont bien compris, il n’y a rien eu d’agressif. On a eu de la presse dans le monde entier. Les deux tiers du public étaient de toute façon issus de l’univers de la musique locale.
L’imagerie du groupe sur ce projet est très nord-coréenne justement…
JVS : C’est moi qui ai tout fait, en m’inspirant de ce qu’on voit sur place. J’ai aussi travaillé sur une partie des projections pendant le concert et les illustrations du documentaire qui a été tourné sur ce concert.
Quand on arrive pour la première fois sur le sol nord-coréen, que ressent-on ?
JVS : La Corée du Nord, c’est ce qu’on peut trouver de plus proche d’une machine à remonter le temps, car cela ressemble beaucoup à la Chine des années 1960, sorti du fait que les gens ont un téléphone portable. C’est assez difficile de dire en quelle année on est, que ce soit au niveau du style vestimentaire, du mobilier, ou de l’architecture des bâtiments. Et le régime est omniprésent, avec des drapeaux partout, des affiches de propagande… On s’attend à cette religion d’état, mais c’est du délire.
Et qu’en est-il de l’art ?
JVS : Il y a de la musique partout, même si elle sert le régime. L’art est très présent en Corée du Nord, mais c’est un art instrumentalisé, de représentation du pouvoir, de l’Etat et quand on sort de ça, c’est un art décoratif. Il y a des peintures monumentales, des statues en bronze de 90 mètres de haut… Ils font aussi dans les stades des écrans de pixels vivants, avec 40 000 personnes qui tiennent des panneaux, créant ainsi des images animées. Personne d’autre ne fait ça ! Ils ont des savoir-faire techniques que l’on a perdus en Occident, comme des mosaïques gigantesques de plus de 70 mètres de haut, tout à la main, d’une virtuosité incroyable. C’est un art qui correspond à une définition surannée chez nous. Mais l’ensemble de tout ceci fait penser à une énorme installation d’art contemporain. La Corée du Nord, c’est presque une œuvre d’art en tant que telle, tellement tout se tient, tellement tout est parfait, ubuesque et spectaculaire. C’est très inspirant pour moi.
En revanche, il semblerait que votre dernier projet là-bas ne se soit pas bien déroulé…
JVS : Non… C’était courant l’été 2017, avec l’organisation d’un symposium d’arts visuels, en collaboration avec l’Académie des beaux-arts de Pyongyang. L’idée était de faire un échange culturel. Nous étions une demi-douzaine d’artistes occidentaux, russe, chinois et on avait un programme en tête, sans savoir si cela allait vraiment se passer sur place. On devait faire un workshop à l’Académie avec des artistes nord-coréens. C’était une expérimentation, mais ça ne s’est pas très bien passé en termes de résultats… Il y avait alors des tensions entre les Etats-Unis et la Corée du Nord et les dix jours qu’on y a passés, c’était au moment du tir au-dessus du Japon et l’essai nucléaire qui a créé un tel séisme, qu’on l’a ressenti jusque dans notre hôtel. Il n’y avait que des messages de propagande anti-américaine. On n’était pas très à l’aise… Et nos collaborateurs locaux avec qui on avait déjà travaillé sur un autre projet d’envergure et avec qui on avait une totale confiance, étaient extrêmement tendus et voulaient en faire le moins possible. Ce projet n’a donc pas été très constructif. Un documentaire va sortir dessus, où l’on voit notre enthousiasme décliner au fur et à mesure…
Est-ce que cela signe votre dernier projet sur et avec ce pays ?
JVS : En tout cas, je ne pense pas refaire un projet en collaboration avec la Corée du Nord, tant le dernier s’est mal passé. Il y en aura peut-être autour de ce pays, mais je ne pense pas y retourner un jour…