Jusqu’au 24 février 2019, le musée Rodin présente une nouvelle facette du sculpteur : celle du dessinateur dans un premier temps, mais aussi celui de l’expérimentateur, avec des découpages novateurs et surprenants…
« La clé de mon œuvre ». Telle est la manière dont Auguste Rodin qualifiait ses dessins, au détriment de ses sculptures. « J’ai une grande faiblesse pour ces petites feuilles de papiers » ajoutait-il. Ce qui tombe plutôt bien, puisque la collection du musée en possède plus de 7 500. Et certains d’entre eux, 90 plus exactement, tous présentés pour cette nouvelle exposition Rodin – dessiner découper, sont des découpages. Une technique très novatrice pour l’époque et que le musée Rodin présente au public pour la première fois.
Des découpages pour de futures sculptures. La première salle est consacrée aux « dessins noirs », datés entre 1880 et 1889, des œuvres au crayon graphite, encre et gouache qui serviront pour la monumentale sculpture de la Porte de l’Enfer. Des papiers découpés qui représentent des masques ou des scènes issues de L’Enfer de Dante, collés sur de grands supports et retravaillés ensuite. « Le masque fascinera Rodin toute sa vie », souligne Catherine Chevillot, directrice du musée, qui a également placé des masques de la collection personnelle de l’artiste (notamment de théâtre japonais) et replacé six petits démons dans le bon sens, alors qu’ils n’avaient jamais été présentés ainsi auparavant. Dans cette première salle, on retrouve déjà le dessin d’un Baiser, où la femme attire violemment l’homme vers elle pour l’embrasser, ainsi que le thème de Ugolin et Médée. On pourra aussi découvrir une collection de pochoirs japonais, qui servaient à faire des motifs pour kimono et très rarement exposés. Dans la salle suivante, une sculpture en plâtre d’une tête du futur Penseur, un peu plus redressée, restaurée pour l’exposition et jamais montrée auparavant. « Rodin avait un travail perpétuel de recherche. Il découpait les plaques de plâtre comme si c’était du papier et on ne sait pas pourquoi il réalisait ce type d’œuvre », précise la directrice. Ce ne sera pas la seule énigme de l’exposition.
De mystérieux découpages. Ainsi, pendant une dizaine d’années de sa carrière, aucun découpage n’a été décelé et il existe peu d’indices sur ceux que le musée possède. Pour les comprendre, la signature donne le bon sens d’observation. « A partir de 1900, Rodin sculpte moins et dessine davantage et il fait des expérimentations, notamment avec des plâtres ». Il y a peu d’exemples de collages directement sur des feuilles de papier, les figures étant collées les unes sur les autres et débordant volontairement du cadre. « Ma démarche a été de comprendre ce qu’il faisait de ces figures. Il y a des indices par des calques, des traces de crayon sur certains montages. Mais ce n’est jamais systématique dans sa manière de procéder. J’ai essayé de faire en sorte qu’une lecture pédagogique puisse se faire : il y a d’abord les dessins au crayon, puis ceux en aquarelle, puis les découpages, puis plusieurs découpages du même type pour certains thèmes », explique Catherine Chevillot. Ainsi, les découpages de Rodin sont prémédités, sur du papier plus rigide que le papier habituel sur lequel il dessine, avec une chronologie : le crayon, l’aquarelle et enfin, le découpage. Tout semble réalisé d’un geste fort et rapide.
Des assemblages étranges. Parmi ces dessins découpés et collés, les associations déroutent souvent : une figure sombre avec une plus claire, une figure debout avec une autre qui est couchée, des changements d’orientation… Certains dessins de danseuses ont été découpés seulement à moitié et on ignore pourquoi Rodin s’est ainsi interrompu. « Ce sont d’ailleurs les figures de danseuses qui nous ont permis de dater cette technique, autour de 1905. Il y a une volonté de garder quelque chose de très expérimental, avec des figures qui flottent au centre d’un carton neutre. J’ai décidé de ne pas mettre de passe-partout pour ne pas cadrer ces figures qui sont très libres », ajoute la directrice. En rappel, quelques sculptures qui ont été placées en vitrines : des plâtres de danseuses, des couples… On observe des dessins comportant des figures abstraites, à la fois sexuelles et tout l’inverse, avec un double sens de lecture visuel. « Rodin faisait la saisie du modèle pendant que celui-ci bougeait. Pour les couples, ils sont collés l’un sur l’autre, avec le calque qui agit comme un moule, réalisé après le collage, avec le même dessin aquarellé plusieurs fois après le calque » précise Catherine Chevillot. La pratique était équivalente avec des photos de ses propres sculptures que Rodin venait aquareller pour gommer les références spatiales des œuvres.
Des thèmes étonnants. L’exposition présente aussi différentes thématiques dont certaines étonnent pour du Rodin. Des femmes assises, un thème peu vu auparavant chez lui, avec de des positions nouvelles, non-académiques. Ou des figures arquées issues du même dessin et qui varient (chevelure, couleur, pieds…). « Certaines sont même réutilisées dans de nombreuses autres figures et assemblages, comme le dessin de cette femme sur le ventre qui se relève ». On observe des figures aquatiques comme les sirènes ou volantes, avec des ajouts d’ailes, comme la sculpture d’Iris présentée ici comme une figure volante à son tour. Ou encore la sculpture du Baiser de l’ange, aux ailes rajoutées. « Rodin ne découpait pas qu’aux ciseaux ou aux lames de rasoir, mais aussi par la couleur, avec des figures rouges ou bleues », souligne Catherine Chevillot. Une production toutefois assez limitée, mais du plus bel effet, avec cet espace ménagé entre la figure et le fond coloré. On découvre également l’Intérêt de Rodin pour les figures vues de haut, à regard de sculpteur, recherchant à s’affranchir de la gravité terrestre. Il serait dommage de passer à côté de cette nouvelle facette de Rodin, fort méconnue et qui donne envie de le redécouvrir…
Musée Rodin, 77 rue de Varenne, 75007 Paris.
Tous les jours sauf le lundi, de 10h à 18h.