Parmi les sites les plus fascinants du bassin méditerranéen, mais aussi parmi les plus difficiles à découvrir jusqu’à présent, il faut citer le vaste complexe de la Foire de Tripoli, commandé par le gouvernement libanais à Oscar Niemeyer aux jours de la prospérité et de l’optimisme avant d’être plongé dans l’abandon par la longue guerre civile qui a accablé le pays. Qu’une grande exposition d’art contemporain investisse aujourd’hui ces espaces longtemps inaccessibles est une excellente nouvelle, d’autant que la Foire a été « jumelée » à une autre trace monumentale de l’histoire tourmentée de la région, la Citadelle qui domine la ville et qui remonte à l’époque des Croisades. C’est à la curatrice Karina El Helou, fondatrice de Studiocur/art, que l’on doit la conception de ce projet ambitieux qui fera date.
Les travaux très divers que montrent les 19 artistes invités, tous originaires du Liban et du Mexique, ont pour point commun le motif du déclin et de l’effondrement. Le thème est à l’ordre du jour, pour des raisons évidentes. Il l’est même trop, au moins depuis Montesquieu et Gibbon, et les discours convenus des intellectuels médiatiques n’ont plus grand chose à nous apprendre. D’où l’urgence de passer le relais aux artistes, pour entrer dans une autre logique réflexive. En installations, en films et vidéos, en agencements sonores, la question de la mort des civilisations est posée à nouveaux frais, en cette ville de Tripoli qui fut et demeure au carrefour des dangers et des espoirs.
Comment les plasticiens n’auraient-ils pas investi les espaces vraiment exceptionnels de la Citadelle et, plus encore, de la Foire, avec notamment son prodigieux dôme de béton ? Il y a donc un rapport intime entre les oeuvres montrées et les bâtiments qui les accueillent, jusqu’à un éventuel jeu sur l’espace au carré, puisque l’un des aspects méconnus du projet de Niemeyer ici réinvesti est… un Musée de l’espace ! On est en somme, au coeur de ce Liban qui est lui-même un mythe, dans un aller-retour permanent entre la matérialité exhibée et désirable du bâti et la fragilité du rêve, mieux encore de l’utopie. Particulièrement emblématique apparaît alors le projet de Jorge Mendez Blake, qui part à la recherche de tous les lieux bien concrets baptisés « Utopia » et y écrit des lettres à Thomas More, le premier utopiste littéraire. Les coordonnées exactes d’Utopie demeurent mystérieuses ; celles de Tripoli, en revanche, sont bien connues, et Cycles of collapsing progress invite à les prendre comme but.
Jusqu’au 23 octobre. www.tripoliniemeyer2018.com
Toutes les photos sont de Walid Rashid.